«On ne change pas. On met juste les costumes d’autres sur soi.» Céline aurait-elle raison? Chose certaine, les 11 personnages de la pièce Made in Beautiful (La Belle Province) en mettent des costumes, une soixantaine au total. C’est que les membres de la «grande et chaotique» famille de Linda se rassemblent chaque année pour un traditionnel souper d’Halloween. De 1995 à 2020, ils sont les témoins privilégiés des changements sociaux survenus au Québec.
Défaite référendaire, bogue de l’an 2000, paranoïa post-11 septembre, légalisation du mariage gai, crise financière, Printemps érable… Mine de rien, la Belle Province a vécu son lot de bouleversements au cours des 25 dernières années.
Le jeune dramaturge Olivier Arteau explore l’évolution culturelle et sociale du Québec à travers le regard, en constante évolution, de la famille joyeusement dysfonctionnelle de Linda.
«Le processus est un peu égoïste de commencer en 1995, parce que je suis né en 1992, commente l’artiste, assis dans une loge du Centre du théâtre d’aujourd’hui (CTD’A) entouré de quelques-uns des déguisements que porteront ses personnages, dont Po des Télétubbies, Superman et une tarte aux bleuets géante. Mais peut-être que c’est un point de départ pour remonter encore plus loin à l’avenir.»
Made in Beautiful (La Belle Province) a d’abord été montée au Théâtre Premier Acte de Québec il y a deux ans. Mais Olivier Arteau a senti le besoin de l’actualiser avant de la présenter devant le public montréalais. «De 2018 à 2020, il s’est tellement passé de choses!»
Celui qui signera la mise en scène de Maurice, toujours au CTD’A, en mars et qu’on verra sur les planches de La Licorne dans Hope Town en février ne s’est pas contentée d’allonger le texte de sa pièce. Il l’a «complètement» réécrit, assure-t-il.
«Il faut que ce soit une œuvre en mutation, qui évolue avec le temps. J’avais envie qu’elle soit encore plus au goût du jour. Depuis deux ans, on vit avec encore plus de stimuli, j’avais le sentiment qu’il fallait que ça aille plus vite.»
Quelles sont les principales différences entre sa V1 et sa V2? «Je pense qu’avant, j’étais surtout dans la critique, j’étais très rébarbatif par rapport au fait que la génération au-dessus de la mienne ne nous a pas légué notre histoire, avance-t-il. Dans cette nouvelle version, il y a des retours dans le passé, notamment un saut en 1981 qui aborde la Nuit des longs couteaux, qui me permettent d’être un peu plus empathique envers elle.»
Jamais au cours de la pièce le dramaturge ne prêche pour sa paroisse. «Nous, les jeunes, ne sortons pas vainqueurs de cette grande affaire parce qu’on est donc ouverts!»
Au contraire, il fait preuve de retenue en présentant une multitude de points de vue, véhiculés par ses personnages dont les mœurs se transforment au fil des ans.
C’est d’ailleurs pourquoi Olivier Arteau avait besoin d’autant de protagonistes: impossible autrement d’embrasser cette pluralité d’enjeux. «Pour moi, parler de ces sujets est un prétexte pour ouvrir le dialogue entre les générations», admet-il.
«Le costume en soi porte quelque chose de politique. C’est aussi le seul moment où on se transforme, révélant une partie de notre identité. J’avais donc envie de porter la théâtralité par le costume plutôt que par l’espace.» Olivier Arteau, dramaturge
De La Petite Vie à Occupation double
Le dramaturge trouve inquiétants le manque de transmission d’une génération à l’autre et la perte du devoir de mémoire.
«Je trouve regrettable qu’on ne se tourne pas plus vers nos aînés», dit-il, citant en exemple le cas de jeunes du secondaire qui ignorent tout des attentats du 11 septembre 2001. «J’ai l’impression qu’on oublie vite.»
Il aborde cette question dans une scène d’un symbolisme fort se déroulant auprès d’une personne souffrant d’Alzheimer. «En stationnant les personnages âgés dans des CHSLD, ça en dit long sur notre rapport à la vieillesse et à nos aïeux. Ça me rend triste. Après la mort, tout est perdu. On fait quoi comme devoir de transmission? Si je n’avais pas eu envie de faire ce show, je ne me serais peut-être jamais questionné là-dessus…»
Olivier Arteau se montre néanmoins optimiste, d’où le titre de sa pièce. «Les valeurs changent de manière extrêmement rapide, effrénée. Je pense qu’on ne réalise pas à quel point c’est allé vite. Le mariage gai, #MeToo, les changements climatiques, le référendum, le Printemps érable… On dit souvent que les Québécois forment un peuple passif. En montrant tout ça, on peut se dire: crime, quand même! On est chanceux de se permettre autant d’ouverture et de se questionner aussi souvent en si peu de temps! Donc, je me considère “Made in Beautiful”, car on est quand même une nation positive et progressiste.»
Un des questionnements qui traversent l’ensemble de son œuvre est le rapport à la langue. «La pièce commence dans un français à La Petite Vie et finit dans un français à la Occupation double», note-t-il.
Loin de dénoncer les anglicismes, dont il est beaucoup question dans le texte, notamment dans une hilarante scène bilingue, il constate plutôt que leur usage est de plus en plus courant. «Une langue est en mutation et ne doit surtout pas être figée, dit-il. Y a-t-il un bien ou un mal? Je ne pense pas. Le but est de cohabiter tous ensemble.»
Parallèlement à tous ces bouleversements socio-politiques, Made in Beautiful est truffée de références culturelles populaires, allant d’allusions aux années de VJ à MusiquePlus de Véronique Cloutier ou au populaire téléroman 4 et demi… à l’environnementaliste Greta Thunberg, l’idole de nombreux jeunes (et moins jeunes). Un clin d’œil teinté d’ironie à notre mémoire sélective.
À quelques jours de la première montréalaise, Olivier Arteau ne cache pas sa fébrilité. «C’est tellement un gros bateau, ce sont tellement des enjeux immenses, ce sont tellement de grosses questions… Comme il n’y a pas de réponse claire, je suis curieux de voir ce que ça va susciter chez le public. Je suis assoiffé de dialogue.»
Un peu d’info
Made in Beautiful (La Belle Province)
Au CTD’A du 14 janvier au 1er février