Œuvre hybride entre le documentaire et la fiction, entre la littérature et l’art numérique, à la fois contemplative et ludique, Motto invite les internautes à prendre part à une quête poétique dont ils sont (un peu) les héros.
«C’est compliqué à décrire même pour nous… On se demandait comment les journalistes pourraient la résumer, ça vous donne encore plus de travail!» lance le réalisateur Vincent Morisset au bout du fil, amusé.
En effet, difficile de transmettre par écrit cette expérience interactive sur téléphone intelligent réalisée à huit mains par l’auteur Sean Michaels (derrière le superbe roman Corps conducteurs en 2016), le programmeur Édouard Lanctôt-Benoit, la monteuse Caroline Robert et Vincent Morisset.
On peut d’abord dire qu’il s’agit d’une histoire: celle de la rencontre entre Motto, le narrateur, et Septembre, un fantôme et artiste qui aime le pain au levain et le disco. Au fil des six chapitres, on est porté à méditer sur la mémoire, les souvenirs, le temps qui passe et le pouvoir de l’imaginaire. «C’est une grosse réflexion sur la nature humaine», résume le réalisateur.
Cette histoire nous est racontée par la plume imagée et poétique de Sean Michaels – traduite par Catherine Leroux dans la version française – mais aussi par plusieurs courtes vidéos captées par l’ensemble des internautes. Comme si les stories Instagram de tout un chacun tissaient une trame narrative.
Chaque participant ajoute sa pierre à l’édifice en captant des images au fur et à mesure de sa quête. Qu’il soit en promenade dans son quartier ou qu’il demeure dans le confort de son foyer, l’utilisateur est invité à suivre des consignes telles que filmer ses orteils ou ses doigts qui bougent, ouvrir et fermer une porte ou encore allumer un interrupteur.
Chacun de ces gestes en apparence anodins est empreint d’une forte symbolique. «S’il suffisait d’actionner un interrupteur pour que tout à coup ce soit la fête», peut-on lire à l’écran après avoir allumé une lumière.
«La pandémie nous fait repenser des choses qu’on tient pour acquises. Motto est une invitation à cela; à poser un regard différent sur notre environnement.» Vincent Morisset, réalisateur
D’autres consignes invitent à la contemplation, comme: «Laisse aller toutes les pensées qui te déconcentrent» ou «Écoute les sons qui t’entourent.»
«On fait appel à l’esprit du public», souligne Vincent Morrisset, qui crée des projets d’art interactifs depuis une vingtaine d’années. Pour celui-ci, il a voulu approfondir le récit. «Il fallait travailler avec quelqu’un qui est bon pour raconter», dit-il.
Ce quelqu’un, c’est Sean Michaels, dont le deuxième roman The Wagers (en anglais) a été publié l’an dernier. Motto a fait vivre une expérience déstabilisante, mais stimulante à l’auteur qui est habitué de travailler seul.
«Vincent, Caro et Ed ont construit une mécanique et, au départ, je ne savais pas vraiment comment l’utiliser, quoi faire avec, raconte-t-il en riant. On parle ici de mots, de vidéos, de tâches, d’instructions. Quelle histoire raconter? Dès le départ, on savait que les personnages n’auraient pas de visage. On a choisi de montrer des images universelles, presque banales ou génériques, qui peuvent exister n’importe où. D’avoir un fantôme comme protagoniste nous a permis de ne pas lui donner d’apparence.»
Pour construire leur récit, les quatre artistes ont travaillé en collaboration. «On partait d’une prémisse, par exemple: c’est le fun de filmer sa main. Qu’est-ce qu’on peut faire avec ça? explique Vincent Morisset. C’est un peu comme quand on lit sur Wikipédia : on clique sur un lien qui nous amène à un autre lien, ainsi de suite. Sean était un genre d’alchimiste qui proposait des idées, des tests et des prémisses que Caroline et Édouard développaient. C’est magique comment on est arrivé à cette histoire où tout s’imbrique.»
En entendant le mot «alchimiste», l’auteur échappe un rire. «Le fait de travailler avec d’autres personnes m’a inspiré, dit-il. Par exemple, Caroline pouvait m’envoyer une petite vidéo d’oiseau qui vole dans un champ et je partais de cette image pour écrire.»
Motto, œuvre toute en contrastes
Motto est une œuvre faite de contrastes. Ici, les nouvelles technologies servent à raconter un récit littéraire, la légèreté du web et des réseaux sociaux est au service de la profondeur du récit et bien qu’elle soit collective, l’expérience est très intime.
«C’était important de jouer avec ça. Les expériences sur téléphone sont souvent ludiques, mais vides. Nous avons tous des jeux sur nos téléphones… – en fait, je n’en ai pas, car j’ai un flip phone! rigole Sean Michaels – Mais tout le monde a des jeux auxquels ils consacrent des heures et, une fois terminés, il ne leur en reste rien. Cela dit, je ne voulais absolument pas écrire quelque chose de lourd ou de prétentieux. C’était important de pouvoir créer un projet ludique et lumineux.»
«On ne cherchait pas à faire un petit jeu avec des scores. On voulait créer quelque chose d’intimiste, utiliser la technologie pour susciter des émotions.»Sean Michaels, auteur
Dans le résumé fourni par l’ONF, qui produit et diffuse Motto, il est écrit que «Motto puise dans des influences aussi diverses qu’Agnès Varda, Snapchat, Italo Calvino, Christian Marclay, W. G. Sebalr et le film Dans la peau de John Malkovich».
Agnès Varda et Snapshat dans la même phrase, ça surprend. «On a travaillé beaucoup sur ce résumé! commente Vincent Morisset. C’est difficile de décrire Motto, tant au niveau artistique, de la forme et même du ton. On s’est dit qu’on s’en sortirait avec une accumulation de références qui, je pense, sont toutes justes. Le volet documentaire permet de capter un instantané d’une communauté, d’une époque. En même temps, c’est une fiction. Cette juxtaposition de ces univers en fait quelque chose de vraiment ovni. Mais l’expérience comme telle est super accessible.»
On pourrait croire que Motto a été créé pour la période de confinement tellement l’œuvre est adaptée aux consignes de distanciation sociale. C’est le fruit du hasard, le projet étant développé depuis trois ans.
«Mes œuvres préférées s’adaptent aux circonstances, avance Sean Michaels. Un livre peut me parler différemment qu’à Vincent ou à toi. C’est très intéressant d’avoir créé un projet assez dense et riche pour qu’il prenne un nouveau sens dans ce contexte-ci.»
Quelques petites adaptations ont néanmoins été apportées au récit. Par exemple, on y voit à un moment une image d’arc-en-ciel dans une vitre avec les mots «ça va». «Je pense qu’on a changé quatre lignes, ce n’est presque rien», précise le réalisateur.
Le volet philosophique de l’œuvre pourrait aussi apaiser l’angoisse que peut susciter la pandémie. «Il y a quelque chose d’assez bizarre, mais de réconfortant dans ce projet, dit Sean Michaels. Je crois que le message de cette histoire a encore plus de puissance ces jours-ci.»
Motto sera offert gratuitement en ligne dès jeudi grâce à la plateforme onf.ca