Les musées et les galeries d’art demeurent fermés jusqu’à nouvel ordre. Heureusement, les amateurs d’arts visuels en sevrage peuvent se rabattre sur l’art public, foisonnant à Montréal. Le moment est tout indiqué pour (re)découvrir ces œuvres extérieures.
Depuis le début de la pandémie, on nous répète de sortir prendre des marches, tant pour notre santé mentale que physique. Pourquoi ne pas faire une pierre deux coups et se dégourdir les jambes – entre 5h et 20h – tout en appréciant le meilleur de l’art public montréalais?
Peu importe votre quartier, il y a de fortes chances que des œuvres se trouvent à quelques pas de chez vous. Avec près de 1 000 productions extérieures, Montréal est un véritable musée à ciel ouvert.
«Beaucoup de villes ont des œuvres seulement dans leur centre-ville, qui sont leurs cœurs touristiques. Ce qui est intéressant à Montréal, c’est qu’on déploie la collection d’art public dans toutes les parties de la ville, ce qui permet de vivre une expérience artistique dans tous les quartiers», se réjouit la doyenne de la Faculté des beaux-arts de l’Université Concordia et spécialiste en art public Annie Gérin.
Qu’entend-on exactement par art public? On parle bien sûr de sculptures et de murales, mais aussi d’installations sonores et lumineuses, de productions interactives et d’œuvres éphémères, comme les performances.
Selon la chargée de projet à Art public Montréal, qui répertorie l’ensemble des œuvres publiques de la métropole, Montréal se démarque d’abord par la quantité de réalisations sur son territoire. «Rares sont les villes où il y a autant d’œuvres d’art public», mentionne Laura Garrassin.
Toutes ces œuvres se côtoient dans une remarquable diversité. «C’est très éclectique, ajoute-t-elle. Il y a autant des murales qui se rapprochent plus du street art que des sculptures historiques ou encore ludiques.»
Cette production abondante est rendue possible grâce à plusieurs initiatives, comme les festivals Mural et Underpressure, les organismes de création comme MU et Ashop, ainsi que le Programme d’art mural et le Bureau d’art public de la Ville de Montréal.
Un art démocratique
Artiste reconnaissable pour ses murales au style fantastique et aux couleurs acidulées sur lesquelles se côtoient une multitude de personnages mi-humains, mi-monstres, Mono Sourcil a toujours été attirée par la création d’art public.
«Selon moi, c’est un moyen d’expression artistique plus libre et intuitif que l’art institutionnel, soutient Maxilie Martel-Racicot de son vrai nom. J’aime l’idée que ce soit un don, un accès direct à l’art.»
Justement, l’art public se démarque par son accessibilité incomparable, ce qui lui confère un rôle social crucial. «Ça participe à l’éducation citoyenne et ça permet de faire en sorte qu’on vive dans des milieux qui sont davantage à échelle humaine et plus riches symboliquement», note Annie Gérin.
L’universitaire cite en exemple le cas des enfants, qui vivent souvent leur premier contact avec l’art visuel par les œuvres publiques situées près des bibliothèques, des écoles et des parcs. Ou encore celui des nouveaux arrivants, pour qui la découverte de la culture locale passe par ces mêmes réalisations artistiques.
«Certaines œuvres d’art vont jouer des rôles non seulement esthétiques pour le public initié, mais vont aussi servir de repères identitaires», ajoute la spécialiste.
Tout cela plait énormément à Mono Sourcil, qui en plus de ses murales, réalise des interventions de rue comme des tags et des graffitis. «J’aime que l’art public soit plus accessible, notamment à des personnes qui ne sont pas initiées à l’art institutionnel.»
«J’aime dire que l’art de rue est un cadeau qu’on doit partager. C’est ainsi que j’approche mon travail de muraliste.» -Maxilie Martel-Racicot alias Mono Sourcil
L’art public permet en effet de rejoindre des citoyens de tous les milieux socioéconomiques et de toutes les origines. «Ça permet à tout le monde de se questionner sur l’art», avance Laura Garrassin, ajoutant que l’art public montréalais rejoint un vaste public notamment grâce à sa présence dans des lieux très variés, comme les hôpitaux ou les écoles.
L’emplacement d’une œuvre joue d’ailleurs un grand rôle dans la démarche artistique de son créateur. «Quand on invite les artistes à participer à un concours d’art public, ils vont aller voir le site, réfléchir à son aspect topographique, à son histoire et à qui traverse ces espaces», avance Annie Gérin.
Un exemple concret de cette approche se traduit dans la murale Milton Park de Mono Sourcil, sur laquelle se trouve un florilège de personnages colorés – humains, chats, robots, fleurs – illustrant la diversité de ce quartier de Montréal.
L’artiste dit par ailleurs voir la ville différemment depuis qu’elle y décore ses murs. «Mon regard se dirige naturellement vers les endroits qui sont propices à recevoir des interventions, que ce soient des murs vierges ou encore des poteaux et des bas des murs pour poser des autocollants.»
Nouvelles œuvres et parcours urbains
L’été dernier, en plus de créer deux immenses murales à Calgary et au Colorado, Mono Sourcil a peint un mur de la rue Berri, sur le Plateau-Mont-Royal. Sur sa murale psychédélique, ses visages typiques sont apposés sur des végétaux, clin d’œil à sa passion pour les plantes.
D’autres nouvelles œuvres ont fait leur apparition dans la métropole au cours de la dernière année. Parmi elles, deux murales inspirées par la pandémie : l’hommage aux travailleurs de la santé de Patrick Forchild sur l’Hôpital général juif et L’espace entre nous, projet de la dramaturge et comédienne Evelyne de la Chenelière et de l’artiste visuelle Cyndie Belhumeur.
Des murales en hommage à Nelson Mandela, Armand Vaillancourt et Renée Claude ont également été inaugurées.
Envie de partir à la découverte de l’art public montréalais? La plateforme d’Art public Montréal est un excellent point de départ. En plus de répertorier toutes les œuvres de la ville sur une carte interactive, elle propose plusieurs circuits à pied, à vélo ou en transport en commun.
«Les parcours sont autonomes et permettent de respecter la distanciation sociale», assure la chargée de projet Laura Garrassin.
En novembre, APM a lancé un premier balado permettant de découvrir 10 murales du Plateau-Mont-Royal dans une promenade à pied d’environ 30 minutes. Une superbe initiative pour découvrir le contexte derrière les œuvres et en apprendre davantage sur leurs créateurs.
Un deuxième balado dans la même formule sortira au printemps, annonce Laura Garrassin. Sans pouvoir révéler le quartier ciblé, elle indique qu’il s’agira d’un circuit alliant murales et sculptures.
Les coups de cœur en art public de nos expertes
Mono Sourcil: Les portraits hyperréalistes de H6 – «c’est mon copain!» précise-t-elle –, les œuvres du collectif En masse, de Jason Botkin, SBU One, K6A, Sera et Korb.
Annie Gérin: Les plaques poétiques de Gilbert Boyer, Nef pour quatorze reines de Rose-Marie Goulet, Les leçons singulières de Michel Goulet, les sculptures de Nadia Myre et les œuvres éphémères.
Laura Garrassin: La murale Walla Volo d’Ola Volo, les sculptures du Jardin botanique, le Mât totémique des pensionnats ainsi que le Jardin de sculptures du Musée des beaux-arts de Montréal.