Professeur sadique, concurrence quasi-meurtrière entre danseurs: de Black Swan à la série Tiny Pretty Things (Netflix), le monde du ballet est souvent dépeint comme malsain à l’écran, même si parfois, la réalité a dépassé la fiction.
Tiny Pretty Things («petites choses mignonnes») raconte les rivalités et les histoires d’amour au sein d’une école de ballet, avec en toile de fond une tentative de meurtre de l’une des élèves. La série montre des danseurs en proie à des névroses, des troubles alimentaires, des crises de jalousie, un flirt avec la drogue ou encore une directrice d’école qui joue le rôle d’entremetteuse.
Experts et danseurs regrettent que le milieu soit constamment dépeint à l’écran comme pernicieux ou dépravé, jusqu’à la caricature.
«Il y a comme une “checklist” quand il s’agit de faire une fiction sur le ballet», affirme à l’AFP Adeline Chevrier-Bosseau, maître de conférences en littérature américaine et études en danse à l’université Clermont-Auvergne.
«Il y a d’abord la souffrance physique avec le gros plan obligatoire sur les ongles des ballerines qui tombent, une fascination pour le “masochisme” dans le rapport entre élèves et maîtres de ballet ou encore la mère de la ballerine qui est très malsaine», affirme-t-elle.
La série a également été critiquée pour l’abondance des scènes de sexe. Comme dans Black Swan ou la série Flesh and Bone, «la ballerine est soit dépravée, soit complètement coincée et ne rêve que de ça», selon Mme Chevrier-Bosseau.
Amplifié
Selon elle, certains clichés remontent au XIXe siècle, où l’image du «petit rat de l’Opéra» était celle de la ballerine de milieu modeste «vendue par la mère maquerelle au plus offrant», notamment aux riches abonnés de l’Opéra. Comme un clin d’oeil dans la série, des ballerines de l’école sont engagées comme serveuses auprès de riches donateurs.
«Les abus existent, mais il faut toujours que ça soit très outré dans la fiction», ajoute la chercheuse qui a contribué au récent ouvrage Nouvelle histoire de la danse en Occident.
«Il y a tout un fantasme sur le ballet, on est beaucoup plus calme que ce que les gens imaginent», affirmait jeudi sur France Inter Hugo Marchand, danseur étoile à l’Opéra de Paris qui présentait son premier livre, Danser.
Il y raconte ses angoisses et sa passion depuis tout petit, les comparaisons avec d’autres danseurs et les tensions qui peuvent exister au sein d’une compagnie professionnelle. Mais rien de comparable à ce qu’on retrouve souvent dans les fictions.
«C’est amplifié x 150!», affirme à l’AFP Allister Madin, danseur à l’Opéra qui n’est pas allé au-delà du premier épisode, même s’il a apprécié le niveau technique des danseurs-acteurs.
Ballet: entresoi et silence
«Oui, j’ai vu des filles et des garçons danser sous anti-inflammatoires et pousser la douleur à la limite du supportable, mais ce n’est pas notre quotidien. Oui, il y a de la compétition car c’est difficile d’obtenir un contrat dans une compagnie; mais on n’est pas là à se taper dessus», dit-il.
«Véhiculer ces clichés ternit l’image de la danse», assure le danseur.
Des anecdotes datant notamment de l’époque soviétique sont entrées dans les annales, comme celle des danseuses qui retrouvaient parfois dans leurs pointes des éclats de verre. L’incident le plus choquant est récent: l’attaque à l’acide en 2013 contre le directeur artistique du Bolchoï qui révèlera des histoires de jalousies et de coups bas.
Pour Astrid Boitel, ancienne élève à l’École de danse de l’Opéra de Paris où elle a également été assistante à la direction, les clichés viennent en partie du monde de la danse lui-même qui a cultivé longtemps «l’entresoi» et une « »éducation du silence lorsqu’il y a souffrance», tout en faisant remarquer que les «langues se délient de plus en plus».
Elle est la coordinatrice artistique de la série L’Opéra, dont la diffusion est prévue au printemps sur OCS et qui a pour héroïne une danseuse qui cherche à prouver son niveau d’étoile. «On ne casse pas complètement le mythe, mais on fait en sorte de montrer la réalité du métier», affirme-t-elle.