Partie enfant du Chili pour échapper à la dictature de Pinochet, Caroline Dawson couche aujourd’hui noir sur blanc son arrivée au Québec. Là où je me terre est ainsi tissé d’évocations et de repères culturels. Rencontre.
«Je voulais que l’immigration soit racontée par la petite fille en regardant sa mère, les femmes qui la précèdent.» Cette enfant, c’est Caroline Dawson. Et elle a sept ans lorsqu’avec ses parents et ses deux frères, elle atterrit au Canada le jour de Noël, en 1986, pour demander l’asile. Près de trente ans plus tard, alors qu’elle est enceinte pour la deuxième fois (d’une fille après avoir eu un garçon), surgit un besoin «viscéral»: celui d’écrire son premier roman.
«J’ai eu l’impression qu’il fallait que je lui lègue l’histoire familiale, relate l’écrivaine. Tout de suite dans ma tête, ça a été une histoire de femmes». Sa mère, qui «s’est tue toute sa vie, de par ses emplois qu’on passe sous silence, notamment celui de femme de ménage», a dès lors pris une place essentielle.
Histoire, nom féminin
Pour Caroline Dawson, Là où je me terre est donc à poser sur l’étagère féministe des librairies. «L’immigration est presque toujours un récit d’hommes. Les femmes, elles, se taisent et subissent», constate-t-elle. Un engrenage à briser, et une rédaction motivée parce qu’elle n’a jamais rien trouvé «qui parle un peu de ça» – de «son histoire de femmes» immigrantes – parmi ses innombrables lectures. «Il y a une certaine forme de violence dans cette invisibilisation», ajoute-t-elle.
Il fallait aussi démystifier l’exil, souvent lié à de «grandes épopées». «Nous avons embarqué dans un avion et huit heures après, nous étions ici. Quand tu es enfant, tu clignes des yeux et ta vie commence ailleurs», se souvient-elle.
Là où je me terre n’est pas non plus le récit des origines, «que l’on retrouve beaucoup dans la littérature». Au contraire, il nous donne à voir la construction de son identité, bâtie au rythme de son intégration à Montréal. «Quand tu es un enfant, tu n’es pas attaché au passé», dit à ce propos l’autrice.
Le regard sociologique de Caroline Dawson
«Le livre commence ici, au Québec, quand j’étais jeune, insiste Caroline Dawson qui est aussi professeure de sociologie. J’allais dans des écoles multiethniques et mes amis étaient de toutes les couleurs, mais à la télé, ce n’était pas mon quotidien. Si on voyait un Noir à l’écran… c’était problématique. Ou bien les Latinos étaient représentés comme des gars de gangs de rue».
Selon elle, et bien loin des stéréotypes que véhiculaient faussement les médias de l’époque, ce sont les versions «qu’on ne dit pas qui façonnent le Québec aujourd’hui».
«J’ai pu faire entendre ma voix, je pense, car toute ma scolarité a été faite ici. Je n’ai donc pas d’accent et j’écris en français. Je connais mon privilège.» – Caroline Dawson
Puisqu’elle a toujours scruté son environnement, la sociologie «a été l’apprentissage d’une langue [qu’elle connaissait] déjà». «Les concepts et les histoires se parlent en moi tout le temps. Je ne peux pas en sortir», s’enthousiasme Caroline Dawson, qui a cependant tout fait pour que Là où je me terre ne soit pas «trop pédagogique».
Celle-ci tient également à souligner qu’il s’agit bien d’un roman, et pas d’un récit tel quel.
«Je ne sais pas si c’est la méthodologie qui me fait dire ça, mais plus encore, je pense qu’il y a une réelle construction. Les souvenirs que j’ai choisis sont ceux qui sont signifiants pour l’histoire, confie-t-elle. Il y a aussi une part romancée et inventée».
Caroline Dawson estime que, de ce fait, la vérité n’en est que «plus grande».
«On le voit beaucoup dans le livre, l’école et la lecture ont été nécessaires» afin d’apprendre la culture et les codes québécois, mais aussi la «liberté et les émotions». Observer les autres pour se sentir moins différente, disséquer les mots pour mieux les absorber.
Dénoncer le racisme
Enfin, l’enseignante a plusieurs fois été témoin du racisme qui sévit au sein même des structures. «Il m’est arrivé de rencontrer des femmes qui veulent être éducatrices en garderie ici, comme elles l’étaient dans leur pays. Mais elles ne peuvent pas, car elles doivent refaire un DEC au complet. J’entends que c’est pour s’assurer d’un certain niveau, mais c’est aussi une discrimination», déplore Caroline Dawson.
Puis, il y a peu, François Legault s’est mis à vanter les mérites de Là où je me terre sur ses réseaux sociaux. «Pour un premier ministre qui refuse de voir et d’accepter qu’il y a du racisme systémique, ça m’a estomaquée qu’il l’ait lu et tant aimé», s’étonne-t-elle.
«Le racisme ce n’est pas juste une question de dulce de leche qu’on avale de travers. C’est essentiellement des discriminations systémiques qu’on refuse de voir. C’est là qu’il frappe le plus durement.» Caroline Dawson
En revanche, ce qui a plu à Caroline Dawson dans cette anecdote inattendue, c’est que le livre se rende là où il n’était pas forcément destiné. «Si ça peut contribuer à faire évoluer les mentalités… Ça me fait quelque chose!» s’enthousiasme-t-elle de ses yeux rieurs.
Aux éditions du Remue-Ménage