Pour la première fois au Canada, un musée présente une exposition personnelle de Caroline Monnet. À cette occasion, Métro a rencontré l’artiste et Sylvie Lacerte, commissaire du Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) qui accueille Ninga Mìnèh dès le 21 avril.
«Ninga Mìnèh, ça signifie « je te le donne », mais c’est aussi le mot qu’on utilise en algonquin pour dire promesse.» Pour son exposition au MBAM, Caroline Monnet – d’origine anichinabée par sa mère – a ainsi souhaité explorer la désillusion de la Loi sur les Indiens, notamment en ce qui concerne l’habitat.
«Tout cela fait référence assez directement au manque de vision du gouvernement fédéral. Le fait de promettre et donner des maisons aux réserves sans que les Autochtones ne puissent en devenir les propriétaires, par la force des choses, engendre et perpétue un système de pauvreté et des mauvaises conditions de vie dans plusieurs communautés des Premières Nations», souligne-t-elle.
«Je trouve ça aberrant qu’en 2021, on ait des conditions de vie difficiles dans un pays aussi industrialisé que le Canada», poursuit Caroline Monnet qui sent une responsabilité certaine à contribuer positivement à la société. «C’est le rôle de l’artiste d’observer le monde et d’offrir des réflexions, des pistes de dialogue, des conversations. Si je parviens à éduquer et sensibiliser la population canadienne ou internationale grâce à l’art, je pense que j’aurai accompli le rôle que j’ai à jouer.»
Avec un parcours universitaire en sociologie, Caroline Monnet avoue volontiers avoir à coeur «toutes les causes sociales». «Mais le message prend une tournure politique malgré moi. Mon engagement est social avant d’être politique», tient-elle toutefois à préciser.
Matériaux de déconstruction
«Je veux qu’il y ait des histoires intégrées dans les œuvres, et je veux que ça aille plus loin, qu’on ait des discussions. J’ai envie que mes créations puissent parler et stimuler au-delà de l’objet d’art.» Pour ce faire, Caroline Monnet a utilisé des matériaux de construction pour l’ensemble des dix-huit créations (dont seize inédites) que compte Ninga Mìnèh. «On retrouve aussi bien des membranes d’étanchéité pour empêcher l’humidité de s’infiltrer que du styrofoam pour l’isolation des murs», cite-t-elle en exemple.
«Je pense qu’on devrait traiter nos maisons comme des êtres vivants. Notre santé mentale et physique est affectée par des logements inadaptés, avec de la moisissure, de l’humidité, et dans lesquels on s’entasse par manque d’options. Pour moi c’est très important de parler de ça, et on en revient toujours à cette promesse non tenue des autorités.» Caroline Monnet
De plus, l’artiste a fait appel à consultants en architecture afin de créer des formes et des installations architecturales. L’une d’entre elles a été réalisée avec des tuyaux de plomberie, et est inspirée d’une architecture futuriste, «donc de l’avenir», mais aussi du savoir-faire traditionnel anichinabé.
«Cela évoque qualité de l’eau et l’accès à l’eau potable dans les communautés. Imagine-toi en pleine pandémie, tu n’as pas d’accès à l’eau potable alors qu’il faut se laver les mains tout le temps», interpelle Caroline Monnet. «Donc cela met bien en lumière les inégalités par rapport à nos positions privilégiées», ajoute-t-elle.
Futur en couleurs
Sylvie Lacerte, quant à elle, reste pantoise devant l’oeuvre créée à partir de moisissure et relevant de l’iconographie anichinabée pour «appuyer sur le fait que la beauté nous aide à mieux vivre». «C’est incroyable pour démontrer que les conditions de vie des Autochtones sont lamentables et insalubres. Même si le propos politique et social est fort, il y a une poésie dans son travail. C’est comme un manifeste», s’enthousiasme la commissaire du MBAM.
Celle-ci salue l’utilisation de nouveaux matériaux dans la création. «Caroline Monnet détourne leur usage en y apposant de la broderie ou de la sérigraphie, entre autres».
«J’aime toujours regarder vers le passé, les traditions, comme le perlage et les motifs traditionnels. J’essaie ensuite de les transposer dans une réalité contemporaine et moderne», indique l’artiste.
Selon elle, cet univers chamarré prédit également un avenir meilleur, lumineux et plein d’espoir. «C’est pour cela que la plupart de mes œuvres sont très colorées. Elles sont présentées comme des petits bijoux, avec beaucoup d’attention donnée. Parfois, c’est presque de la dentelle parce qu’on veut amener de la fierté. Il s’agit d’une promesse positive», assure Caroline Monnet.
Caroline Monnet, artiste contemporaine
Alors que Ninga Mìnèh repose sur une recherche identitaire de ses racines algonquines, Caroline Monnet ne veut pas regarder en arrière. «Il y a encore tellement de choses à dire sur cette culture».
«De plus en plus, nous, les Premières Nations, avons notre place dans les médias. Les consciences s’élèvent non seulement au sein de la communauté autochtone, mais aussi chez les Québécois. Nous avons de plus en plus d’alliés et le dialogue passe mieux. Il était temps! constate-t-elle. Il faut apprendre à vivre ensemble.»
Mais Caroline Monnet veut rester prudente malgré cette prise de pouvoir. «Il faut faire attention avec les étiquettes. Dire « artiste autochtone » nous empêche de nous émanciper au même titre que des artistes internationaux. Nous ne voulons pas présenter nos créations seulement dans des expositions de groupes qui nous ghettoïsent dans des thématiques, des démarches. Nous avons aussi envie d’explorer d’autres voies.»
Enfin, elle met en garde contre l’utilisation inappropriée du qualificatif «art contemporain autochtone». Caroline Monnet a un souhait: «que [son] travail s’inscrive simplement dans une continuité d’histoire de l’art».
Sylvie Lacerte sur Caroline Monnet
Ninga Mìnèh est une reconnaissance l’importance de son travail. Il était essentiel pour le MBAM de lui offrir une exposition personnelle, car elle a tant à nous montrer. C’était incontournable. Caroline Monnet apporte de nouveaux canons dans l’art avec une manière de travailler singulière. Son message puissant n’empêche pas ses œuvres d’être très belles. Ce n’est jamais strictement décoratif. Il s’agit d’une expérience immersive, dans laquelle les créations se répondent les unes aux autres.