On aurait bien voulu trouver titre plus original qu’une éculée référence à la nostalgie, tellement ambiante, tellement surutilisée, tellement passe-partout. Elle est omniprésente, cette foutue nostalgie, on nous la sert à toutes les sauces et à tout vent.
Mais quand un Luc De Larochellière, 56 ans, cool comme à 20 ans, s’amène aux Francos de Montréal en surfant sur son album culte Sauvez mon âme (1990), avec un crochet encore plus loin derrière, dans son Amère América (1988), dont il a décidé de gâter le public de quelques partitions histoire de prolonger le plaisir, on ne peut que regarder le passé droit dans les yeux, la tête haute et avec aplomb.
Qui plus est quand les musiciens qui l’accompagnent, flanqués de deux choristes féminines, sont exactement les mêmes que lors de la tournée originale Sauvez mon âme, il y a 32 ans. Insérez ici tous les clichés imaginables liés au «voyage dans le temps».
Échappé belle
On a pourtant eu bien peur que ce bon bougre de De Larochellière ne puisse le donner, ce concert extérieur de vendredi sur la scène Loto-Québec, sise coin De Maisonneuve et Clark, en ce premier soir attendu – et achalandé! – des Francos.
Quelques pas plus loin, scène Bell sur la Place des Festivals, le rap de Koriass a chevauché le folk-rock encore actuel de notre fringant quinquagénaire d’une trentaine de minutes, entre 21 h et 21 h 30, pendant qu’à l’intérieur de la Place des Arts, au Théâtre Maisonneuve, Lynda Lemay renouait avec bonheur avec son assistance québécoise. Fini la pandémie, c’est reparti, avez-vous dit?
Mais, bref, on a craint pour Luc. D’abord parce qu’un ciel sombre avait menacé la ville toute la journée, avant de miraculeusement s’éclaircir en début de soirée. Mais, surtout, le chanteur avait fait état, plus tôt cette semaine, sur Facebook, d’une intervention d’urgence qu’il a dû subir dimanche dernier, et qui l’a presque empêché de participer au Téléthon Opération Enfant Soleil.
C’est donc avec sa vésicule biliaire en moins que l’artiste a honoré son engagement aux Francos. On le salue bas, il fallait pour ce faire audace et passion. L’homme a ouvert sa soirée en blaguant qu’il avait désormais «quelques trous dans l’estomac», mais niveau énergie et enthousiasme, rien n’a paru. Deuil de la vésicule ou pas, la voix était toujours intacte, profonde ici, rauque là. Le plaisir, lui, était celui d’un gamin à Noël.
Pendant une heure trente, ç’a été le festival du hit de Luc De Larochellière, émaillé de quelques mises en contexte pour situer les morceaux dans le temps. Les spectateur.trice.s écoutaient d’une oreille, célébraient l’atmosphère joyeuse de l’autre. On a revécu la première moitié d’Amère América, dont sa pièce-titre, le ver d’oreille La route est longue, puis Chinatown, première de ses chansons que l’auteur-compositeur-interprète a jadis entendue par hasard, au coin des rues Cherrier et Saint-Hubert, alors que, jeune homme, il promenait Tarzan, le chien saucisse de son amoureuse de l’époque, une certaine Élisabeth Roy…
L’opus Sauvez mon âme a ensuite été joué dans l’ordre précis, presque exhaustivement, ses titres les plus connus accueillis avec effusion (Sauvez mon âme, Ma génération, Cash City, Six pieds sur terre et, à elle seule, la ligne d’harmonica qui lance Si fragile, un accord mitonné par Marc Pérusse, collaborateur de la première heure de Luc De Larochellière).
La finale s’est un brin étiolée au gré des moins familières Marie-Élisabeth et Un dessert en enfer (d’ailleurs jouée sur scène pour la première fois en 32 ans), avant de se boucler dans la tendresse de Si j’te disais reviens.
Tout le monde…
Dépassé, démodé, Luc De Larochellière? Allez dire ça aux bambins qui se déhanchaient sur ses hymnes à travers l’honorable foule qui emplissait le parc urbain du parterre du Quartier des Spectacles, aux jeunes adultes qui scandaient toutes les paroles comme si elles étaient pour toujours imprimées dans notre inconscient collectif, aux sexagénaires assumés qui paraissaient retrouver l’un des leurs.
Le public de Luc De Larochellière, c’est tout le monde. Ce tout le monde qui veut que tout le monde l’aime, mais dont personne n’aime tout le monde, des paroles qui n’ont, semble-t-il, jamais autant résonné qu’aujourd’hui.
Les 33e Francos de Montréal se poursuivent jusqu’au 18 juin.