Jusqu’au 17 août 2014, le Musée de la civilisation présente Haïti, in extremis – mort et vie dans l’art haïtien au 21e siècle. Vous cherchiez une raison de monter à Québec? La voici.
En entrant dans cette expo, on entre aussi dans une spirale. Au propre comme au figuré. Aspirés par le regard visionnaire des artistes. Par leur résilience. Leur créativité. Leur authenticité.
Organisée par le Musée de la civilisation à partir d’une idée du Fowler Museum, situé sur le campus de l’UCLA, Haïti, in extremis est une captivante expérience. Bouleversante aussi. «Au cœur de l’événement, il y a cette volonté de démontrer qu’Haïti est touchée par une panoplie de catastrophes naturelles, de problèmes politiques et économiques, mais que, en dépit de tout ça, l’art est toujours original et se fait de plus en plus saisissant», remarque la conservatrice Lydia Bouchard.
Au fil de la spirale dans laquelle se retrouve le visiteur, des pensées d’artistes et d’écrivains jalonnent le parcours: «Je coïte donc j’existe – Frankétienne, auteur et génial mégalomane»; «Raisonnement: pourquoi il existe dans mon pays des jours pour les ‘‘guédés’’? Parce que c’est le seul pays où l’on compte plus de morts que de vivants – Jean Armoce Dugé, auteur»; «Plus qu’une religion, le vaudou est aussi une esthétique, une philosophie et un mode de vie – Killy».
Une esthétique, une philosophie et un mode de vie qui marquent profondément ces œuvres. Certains des artistes exposés, dont Pierrot Barra, sont d’ailleurs aussi prêtres vaudous. Les figures marquantes de cette croyance se retrouvent dans de multiples tableaux et sculptures : Baron Samedi, son épouse Grann Brigitte et les Gede, «ces divinités reliées à la mort et à la régénérescence» dont il est le chef. Il y a aussi les zombies, très importants dans l’art et la culture populaire haïtienne.
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Toutes les œuvres dansent entre la vie et la mort. «Je crois qu’il y a quelque chose là-dedans de l’ordre d’une pulsion. Une pulsion de vie, remarque Lydia. Quand on côtoie la mort au quotidien, nécessairement, notre regard est différent.» Dans une pièce en retrait, on trouve même une vitrine dans laquelle sont exposés des objets de culte. Et dont on s’approche avec une certaine précaution…
La plupart des œuvres sont récentes, créées en ce 21e siècle, mais il y a des clins d’œil au passé. Un passé qui reste récent. Une section est également réservée à des artistes québécois d’origine haïtienne. Marie-Hélène Cauvin, Manuel Mathieu et Patrick Ganthier, alias Killy. Une autre section est dédiée aux «Gede dans la culture populaire». Ainsi, un tableau de Frantz Zéphirin représente… Michael Jackson en Baron Samedi!
Eh oui, malgré la gravité des thématiques abordées, on trouve dans ces œuvres beaucoup d’humour. Par exemple Dr Hypocrite, cette sculpture de métal signée Papa Da qui représente le docteur du titre, portant un préservatif. «Dr Hypocrite recommandait à tous ses patients de toujours se protéger en faisant l’amour, mais lui, il ne suivait pas son propre conseil, explique Lydia. Il a attrapé le sida, il en est mort et il a été condamné pour l’éternité à porter un condom.»
Récupération
Une grande part de l’expo est occupée par les créations du collectif Atis Rezistans (artistes résistants). Fondé par André Eugène, Jean Hérard Céleur et Frantz Jacques, tous trois exposés dans In Extremis, ce collectif est aussi connu sous le nom des «Artistes de la Grand Rue», clin d’œil à l’avenue principale de Port-au-Prince où ils travaillent.
Faisant un pied de nez aux galeries chic, préconisant l’idée de rendre l’art accessible, ces passionnés façonnent leur art avec des objets récupérés dans les cours de ferraille, dans les rues. Ressorts de matelas, roues, écrans de vieux ordinateurs, poupées et souliers. Tonnes de souliers. Comme on l’apprend dans une vidéo de la Britannique Leah Gordon présentée dans l’expo, les étrangers envoient des montagnes de chaussures usagées dans la perle des Antilles. Pensant bien faire. Mais des talons aiguilles et des bottes d’hiver ne servent pas à grand-chose dans cet environnement. Sauf à créer.
Gordon dédie aussi un film aux «Ti Moun Rezistans», les enfants qui participent aux ateliers des Atis Rezistans. Avec maturité, ces jeunes parlent devant la caméra de Leah de leur désir d’être des artistes et de leur modèle, André Eugène, un des membres fondateurs du collectif. Ils abordent aussi la violence qui règne dans leur pays, montrent leurs œuvres, qui en sont empreintes. La petite Camsuze Mondesir, disparue depuis, et à laquelle est dédiée la vidéo, nous apprend dans une de ces citations qui tapissent la salle : «Pour moi, Atis Rezistans est à la fois mon métier, ma famille et mes rêves.»
Vous savez quoi faire? Si votre réponse est «se rendre à Québec», c’est la bonne.
Haïti, in extremis
Au Musée de la civilisation
Jusqu’au 17 août 2014
