Le bien-aimé Paul, imaginé par le bédéiste Michel Rabagliati, passe de ses quelques traits en noir et blanc à un personnage en chair, en os et en couleurs avec le film très attendu Paul à Québec, première adaptation pour le cinéma d’une bande dessinée québécoise. Délicate mission pour les coscénaristes, Rabagliati et le réalisateur François Bouvier, qui ont voulu traduire à l’écran l’esprit d’amour familial qui émane de la BD.
C’est l’histoire d’une famille comme il y en a tant d’autres, une famille québécoise ordinaire dont le patriarche, atteint d’un cancer, est condamné. Et pourtant, quelque chose dans le récit de Paul à Québec, «somme toute banal» selon François Bouvier, a interpellé le cinéaste. On y raconte les derniers mois de la vie de Roland, le beau-père de Paul – alter ego de Michel Rabagliati. «C’est le filtre par lequel elle est racontée, cette histoire-là, l’humour et l’humanité de Paul, qui m’ont touché, dit celui qui est connu pour avoir réalisé Maman Last Call et 30 vies. Mon point d’ancrage dans la BD, c’était la sensibilité, la famille, le point de vue sur la vie qui y est exprimé. C’est un film sur la mort, oui, mais aussi sur la vie; on pleure, mais pas tant parce que c’est triste que parce que c’est émouvant. Et on rattrape les moments tristes avec des pointes d’humour, comme quand, après une discussion émotive, Roland lance à Paul: “On a l’air de deux tapettes avec nos poodles.”»
«Je ne pense pas que ça soit un film déprimant», acquiesce Michel Rabagliati, qui a écrit Paul à Québec en s’inspirant des moments que lui et son ancienne belle-famille ont traversés au moment du décès de son beau-père. Celui qui lancera cet automne Paul dans le Nord ajoute que François Bouvier a su bien saisir le ton de ses BD: «J’écris mes bandes dessinées comme des partitions qui tombent des fois en mode mineur pour s’en aller ensuite vers une polka, par exemple, et ça, il l’a très bien compris.»
Les adaptations d’Astérix, Tintin et autres classiques du neuvième art au grand écran nous l’auront appris: si on ne veut pas que les inconditionnels de l’œuvre originale crient à l’hérésie, il faut savoir y apporter sa touche personnelle tout en demeurant fidèle à l’esprit initial. «Il a fallu laisser aller certains éléments, fait remarquer Rabagliati. Dans une BD, on peut se permettre de tricoter autour de l’intrigue, pour installer une ambiance, passer des réflexions, des observations. Mais au cinéma, tout doit servir à quelque chose. Alors il fallait enlever, mais aussi ajouter – la musique, par exemple, c’est payant, ça ajoute, ça participe à l’action et au sentiment.»
Ainsi, si François Bouvier a conservé intégralement certaines scènes du livre (comme celle des trois sœurs fumant un joint sur un banc de parc, qui a marqué tant de lecteurs), d’autres aspects ont dû être changés: «Dans le film, Paul [joué par François Létourneau] est calme, observateur – il fallait le voir proche de son beau-père, d’où l’idée de le faire dessiner et devenir créateur de BD au contact de sa belle-famille.» Si le Paul de François Létourneau se rapproche de celui de la bande dessinée, ce n’est pas le cas de sa conjointe, Lucie, jouée par Julie Le Breton. «La version dessinée était pratiquement une version féminine de Paul, rappelle Rabagliati, alors que la Lucie de Julie Le Breton apporte plus de pétillant. Leurs personnalités sont complémentaires plutôt que fusionnelles, ce qui fonctionne mieux au grand écran.»
«Ma scène préférée, c’est celle, au début du film, où Paul observe sa belle-famille, et où on voit dans son regard tout l’amour qu’il a pour ces gens-là. Ça résume mon histoire. c’est ça que je fais dans la vie, j’observe les gens, je prends des notes dans ma tête. Et je pense qu’il y a bien des gens qui vont reconnaître leur famille là-dedans.» – Michel Rabagliati
Le côté calme et observateur de Paul était par ailleurs inhabituel pour François Létourneau. «Je suis habitué de jouer des personnages qui parlent beaucoup, fait remarquer le comédien et scénariste de Série noire. Dans mes scénarios, je m’écris des personnages loin de moi, alors que Paul me ressemble beaucoup – il a la même femme depuis longtemps, un enfant, c’est un artiste… Ça n’a donc pas été difficile de m’approprier le rôle.»
Le comédien et sa covedette Julie Le Breton soulignent d’ailleurs s’être nourris plus que jamais de leurs partenaires de jeu pour créer leurs personnages.
«Il fallait beaucoup de générosité de la part de François pour ne pas prendre toute la place, et au contraire, pour s’effacer même s’il est le personnage principal, admire l’actrice. Et il faut dire qu’on n’était pas là pour donner des performances d’acteur. C’est l’enfilade des petites scènes anodines qui fait du film une œuvre toute simple et humble qui se rapproche beaucoup de la BD.»