Écrans

«À cœur battant»: punir ou prévenir? 

Roy Dupuis et Ève Landry se partagent la vedette de la nouveauté «À cœur battant».

On ne se sera pas ennuyé de Christophe L’Allier trop longtemps. Le personnage incarné par Roy Dupuis dans Toute la vie est de retour dans une nouvelle série de Danielle Trottier, À cœur battant, sur les ondes de Radio-Canada. Exit les ados enceintes; cette fois, l’intervenant travaille au fictif Centre de prévention de la violence (CPV), un organisme communautaire qui vient en aide aux hommes violents. 

Frappante d’actualité, cette nouveauté oppose deux visions: celle du psychoéducateur, qui se donne la mission de réhabiliter ces hommes en leur faisant saisir la gravité de leurs gestes, et celle de Gabrielle Laflamme, une procureure de la Couronne incarnée par Ève Landry qui souhaite condamner les coupables afin de leur faire comprendre que leurs comportements sont intolérables. Si leurs approches sont l’antithèse l’une de l’autre, elles ont le même objectif: mettre fin à la violence.  

Saisir la violence 

Avec un tel thème, À cœur battant est une série lourde et difficile, avec des scènes de violence qui, sans être graphiques, sont choquantes. Mais à une heure où les voix s’élèvent pour dénoncer le nombre de féminicides – un aux deux jours au Canada, en moyenne –, il s’agit du genre de production nécessaire qui, à son échelle, peut faire changer des choses.  

C’est un but avoué de Danielle Trottier. Lors d’une rencontre avec les médias, peu avant les Fêtes, la scénariste exprimait le souhait que sa nouvelle série confronte le public, que les téléspectateur.trice.s réfléchissent à leur tolérance face à la violence, peu importe son degré et sa forme.  

Forte de ses séries Unité 9 et Toute la viequ’on n’a nullement besoin d’avoir vue pour suivre le spin-off –, l’autrice continue «d’explorer l’âme humaine» avec À cœur battant, où la masculinité toxique est présentée avec tout ce qu’elle peut comporter d’homophobie, de problèmes de consommation, de détresse psychologique et, évidemment, de violence envers les femmes.  

Sans que son écriture soit didactique, Danielle Trottier sait faire saisir les dynamiques de violence à son public: les réflexes des victimes de violence conjugale qui sont souvent dans le déni, les cycles de la violence qui se répètent, la violence post-séparation qu’on minimise à tort ou encore la violence verbale sous-estimée mais dommageable.

Pierre-Paul Alain incarne Yoan, un homme violent suivi par Christophe et poursuivi par Gabrielle. Photo: Éric Myre.

Poser les bonnes questions 

C’est donc dans ce climat qu’on retrouve Christophe – dont la famille dysfonctionnelle vue dans Toute la vie est toujours présente – et qu’on découvre Gabrielle. Les deux ont une tonne de compassion pour les victimes, mais seulement lui en a aussi pour les agresseurs, qui ont également besoin de services, étant la source de cette violence qu’on cherche à éradiquer. L’intervenant n’est pas aveugle pour autant; les hommes qui refusent de s’aider eux-mêmes finiront par devenir les échecs qui motivent l’approche de la procureure. 

Cette dernière ne croit pas plus aux excuses qu’à la réhabilitation. Animée par une colère – celle de la scénariste, qui exprime ainsi sa solidarité envers les femmes victimes de violence –, elle nous confronte à un questionnement important. Faut-il prévenir, comme le veut Christophe, lui-même un homme violent réformé, ou punir, comme le veut Gabrielle? Le système carcéral est-il la solution? Après tout, s’il sécurise les victimes, il n’aide pas à changer les comportements des coupables. 

Ce duo est accompagné d’une myriade de cas d’hommes violents incarnés par autant d’acteurs (Robert Naylor, Denis Marchand et Pierre-Paul Alain, entre autres) qui ont répondu à l’appel, sensibles à la cause portée par À cœur battant. Comme il s’agit d’une série annuelle, on pourra suivre certains dossiers sur le long terme afin de mettre plusieurs couches de nuances. À d’autres occasions, on ne verra que des bribes d’une histoire de violence. C’est qu’au Centre de prévention de la violence, Christophe et sa collègue Roxanne (excellente Catherine Paquin-Béchard) offrent une thérapie de groupe qui permet d’effleurer certains récits.  

Ces scènes de prévention, tout comme celles dans le monde judiciaire, aèrent celles où la violence éclate. Mais même dans ces dernières, la réalisation de Jean-Philippe Duval (qui a aussi fait Unité 9 et Toute la vie) reste sensible. Son mot d’ordre: éviter d’être cru, découper les scènes de violence pour ne pas la magnifier et garder en tête que le vrai sujet de la série, c’est le travail d’intervention.  

Parce que braquer la caméra sur les hommes violents plutôt que sur les victimes, ce n’est pas être de leur côté. C’est remonter à la source. Et c’est ce que cherche à faire Danielle Trottier: élucider les raisons qui font en sorte que des hommes se donnent le droit de frapper et de tuer.  

À cœur battant est dès maintenant diffusée les mardis à 20h sur les ondes de Radio-Canada.  

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