Florence Longpré vit cette année une formidable frénésie professionnelle. Encensés de toutes parts, ses projets voyagent et font écarquiller les yeux partout sur le globe. Jadis refusée trois fois à l’école de théâtre, ayant dû galérer quelques années sur les planches avant qu’une tornade appelée Like-moi! ne propulse sa carrière, Florence Longpré jouit aujourd’hui d’une réelle crédibilité, autant pour sa plume d’autrice que pour son talent de comédienne. Bilan.
«Puisque j’ai longtemps été précaire, encore aujourd’hui, j’ai parfois peur pour la suite, confie Florence en entrevue avec Métro. Je pense encore à l’occasion que je n’ai pas d’assurance-emploi! Mais, dans la dernière année, j’ai même reçu des propositions de postes de productrice ou de showrunner, pour démarrer ou développer des projets. Ce n’est pas quelque chose que je veux faire pour l’instant, mais ça m’a beaucoup flattée qu’on pense à moi pour ça. Je sens que, de plus en plus, les boîtes de production veulent faire de la télé différemment. Je trouve ça formidable.»
Pléthore de prix
Les succès s’étant additionnés à vitesse grand V pour Florence Longpré ces derniers temps, récapitulons les bonnes nouvelles.
Le temps des framboises, petit bijou coécrit avec sa grande amie Suzie Bouchard (L’œil du cyclone, Entre deux draps), et que réalise l’illustre Philippe Falardeau, a clôturé le volet de la Berlinale Series, au Festival international du film de Berlin, en février, et a compétitionné au festival international Séries Mania, en France, fin mars.
Sa comédie dramatique Audrey est revenue vient de rafler les prestigieux lauriers du Grand Prix Dior, récompensant l’audace d’une œuvre, ainsi qu’un prix d’interprétation collectif pour l’ensemble de sa distribution, au cinquième festival Canneseries de Cannes.
Même son premier bébé télévisuel, M’entends-tu?, continue de faire des siennes à l’international: sa troisième saison a été retenue pour le prochain Banff World Media Festival… tout comme Audrey est revenue. La jubilaire s’en émerveille.
«Je trouve ça vraiment trop cute que M’entends-tu? finisse là-dessus, avec un petit Banff…!»
On joint Florence au téléphone la semaine de son retour de Cannes, et déjà, la prolifique artiste est replongée dans un nouveau sprint d’écriture. Son extraordinaire Temps des framboises vient enfin d’aboutir sur Club illico, et les réactions sont dithyrambiques.
Il y a certes la reconnaissance étrangère qui valide son travail, mais aussi les innombrables bons mots partagés par le public sur les réseaux sociaux.
«Quand on gagne des prix, je ne m’attribue pas la réussite juste à moi. C’est pour toute l’équipe. On a tellement peu de moyens, comparativement aux séries qui étaient en nomination avec nous! C’est presque un gag, à quel point on n’est pas dans la même catégorie. Il faut être fiers. C’est une belle tape dans le dos.»
«Et les bons mots des gens, ça vaut 14 000 trophées…»
Sincérité, ironie et féminité
Comme en témoigne le Grand Prix Dior rapporté de Cannes, la télé que façonne Florence Longpré se démarque par son originalité. Qu’elle dépeigne avec finesse pauvreté et manque d’éducation dans M’entends-tu?, une quête d’identité après une longue absence dans Audrey est revenue, ou la réalité du deuil, du monde agricole et des travailleurs saisonniers dans Le temps des framboises, l’authenticité est brute et sans fard dans chacun de ses univers.
«J’ai vraiment des goûts éclectiques en matière de films et de télé. Je ne boude pas mon plaisir. J’aime les gros blockbusters, les films super underground. Mais ce sur quoi je ne veux pas jouer, c’est la sincérité du truc. Je n’aime pas les histoires racoleuses, où on voit les ficelles pour aller chercher l’émotion ou pour faire rire trop facilement. Je m’imbibe d’un sujet de la façon la plus sincère possible, aussi cheesy que ça puisse paraître.»
Et son humour singulier, un peu ironique, le perpétuel sourire en coin qui ponctue beaucoup de ses scènes, où le pige-t-elle? Celle à qui son ami (et coauteur de Audrey est revenue) Guillaume Lambert a offert une relecture de G.A.F.A, de Nicola Ciccone, entouré d’une chorale d’enfants, lorsqu’elle fut l’invitée d’En direct de l’univers, le 5 mars dernier (elle rigole lorsqu’on évoque ce souvenir récent) revient à la charge avec son irrépressible besoin de vérité.
«J’imagine que ça teinte mon écriture, parce que c’est ma sincérité, à moi. Il y a beaucoup d’humour dans mon quotidien. Mon chum (l’humoriste Pascal Cameron, NDLR) est niaiseux sans bon sens (rires). Mais c’est moins calculé et plus organique. Suzie (Bouchard) et Guillaume (Lambert) écrivent aussi comme ça. C’est un peu notre style. Mais je pourrais écrire un texte où il n’y aurait pas de place pour le comique, et je n’en serais pas brimée non plus.»
Autre signe distinctif du «catalogue Longpré» : l’importante place qu’y occupent les femmes de tous les milieux. À cet égard, en attendant, comme elle en rêve, de créer un.e protagoniste principal.e non genré.e dans l’une de ses futures séries, la créatrice de 37 ans ramène à nos mémoires la Fortier de Sophie Lorain, sortie de l’imaginaire de Fabienne Larouche, qui, fin des années 1990, brisait le moule des Émilie Bordeleau et autres Dames de cœur qu’avait jusqu’ici glorifié le petit écran québécois.
«Quand j’ai commencé à faire de la télé, les personnages féminins étaient très conventionnels, brillaient par leur beauté et leur grandeur d’âme impossible. Moi, je ne me reconnaissais pas dans ces personnages-là. On commence à décoller de ce stéréotype, mais quand j’ai commencé M’entends-tu?, il n’y en avait pas beaucoup. J’avais capoté sur Fortier, parce qu’on nous présentait une femme super maladroite, brillante, pas sexuée du tout. Et elle était belle pareil! Mais on ne misait pas sur sa beauté et sa bienveillance. C’était d’autres émotions, d’autres qualités que celles d’une bonne professeure…»
Une «enfant bizarre»
Le contexte familial, dans le foyer de Mascouche où a grandi Florence Longpré, avec un papa contremaître, une maman secrétaire et une sœur devenue infirmière – «Moi, je n’avais pas vraiment rapport! (rires)» –, ne la prédestinait pas nécessairement à un avenir devant les caméras.
Florence en avait toutefois ému plusieurs, en remportant son premier trophée Gémeaux pour M’entends-tu?, en 2019, en remerciant son père d’avoir laissé dessiner sur les murs l’«enfant bizarre» qu’elle était autrefois.
«J’étais un peu extraterrestre dans ma famille. En même temps, ils m’ont toujours encouragée. Ce sont des gens qui adorent la musique, qui aiment danser, qui aiment discuter d’enjeux de société. Ils m’ont beaucoup suivie là-dedans.»
L’improvisation est entrée dans la vie de Florence au début de l’adolescence, puis l’écriture au cours de ses années de cégep. Elle s’est un brin cherchée avant d’être acceptée à l’école de théâtre du Collège Lionel-Groulx, à sa troisième tentative d’inscription.
Son diplôme en poche, elle a beaucoup joué au théâtre, notamment avec la compagnie Le Clou, qui s’adresse aux jeunes. Puis, en 2015, sont venus une tempête appelée Like-moi! et un certain personnage de maquilleuse du nom de Gaby Gravel…
Une tempête qui l’a happée. Florence l’avoue, elle a usé la chandelle par les deux bouts dans la période qui a suivi.
«Il y a un moment où j’en ai trop pris, et je n’étais plus bien. Je n’ai pas consulté, à l’époque, mais je suis sûre que j’ai fait un burnout. J’ai appris à dire non. Je me suis trompée mille fois, et il y a eu mille trucs cool aussi!»
Florence Longpré se fait un devoir de raconter publiquement ses années de labeur, pour inspirer quiconque doit mettre les bouchées doubles pour avancer.
«C’est un métier de passion et de persévérance. Il n’y a pas deux chemins qui se ressemblent. Il faut s’écouter et être un peu inconscient en même temps!»
Les séries Audrey est revenue et Le temps des framboises sont disponibles sur Club illico. On peut voir ou revoir les trois saisons de M’entends-tu? à telequebec.tv ou sur ICI Tou.tv. Florence Longpré fait partie de la Ligue d’improvisation montréalaise (LIM), qui se produit les dimanches soirs au Théâtre du Lion d’Or.