À 70 ans, Paul Bergeron retire son tablier de cuisinier en chef du Café L’Itinéraire. Après une décennie de loyaux services pour les sans-abris, celui qu’on surnomme affectueusement Monsieur Paul sait qu’il est temps de céder sa place à la relève. Retour sur une vocation menée le cœur sur la main.
Autrefois fonctionnaire, Paul Bergeron croisait tous les jours le même camelot qui vendait le journal de rue L’Itinéraire au centre-ville. «C’était un bon jack», évoque-t-il. Après sa retraite, il continue de le rencontrer en fréquentant le YMCA près de la station de métro McGill.
Au détour d’un article, il apprend que L’Itinéraire cherche des bénévoles pour sa cuisine. À l’époque, l’organisme offre des repas chauds à toutes les personnes itinérantes qui s’y présentent. L’expérience est tombée à point dans sa vie, alors qu’il avait pris sa retraite trois ans auparavant. «Je m’occupais de mes petits-enfants, de ma famille et de ma maison, mais je désirais agrandir mon jardin», dit-il.
Paul Bergeron fait donc ses débuts au centre en tant qu’homme àtout faire. «Au départ, je rendais de petits services comme tenir la caisse ou servir le café», poursuit-il. Au fil du temps, il gravit les échelons jusqu’à la gestion de la cuisine à temps plein.
Chez lui, le bénévolat est une affaire de famille. Ses deux parents se sont grandement engagés dans la vie communautaire. «Ma mère disait souvent que si on cultive une belle vie active, on va forcément vouloir redonner à la société ce qu’on a reçu», évoque-t-il.
À la suite de coupures, L’Itinéraire doit toutefois revoir sa mission en 2011. La direction décide de concentrer ses efforts sur la publication de la revue. La cuisine perd la moitié de son espace et ferme ses portes au grand public. Il faudra quelques années à l’équipe pour rassembler les ressources nécessaires à la création d’un menu fait maison.
Aujourd’hui, le Café L’Itinéraire offre quotidiennement de la nourriture gratuite ou à prix modique, mais uniquement aux 220 camelots et autres contributeurs de l’organisme. L’établissement collabore avec Moisson Montréal, qui lui livre des viandes et des aliments qui n’ont pas pu être vendus en épicerie. «De cette manière, on s’assure que les camelots n’aient pas à dépenser tous leurs revenus sur l’épicerie et qu’ils puissent faire quelques économies», explique Paul Bergeron.
Même s’il tire sa révérence, pas question de demeurer oisif pour Monsieur Paul. Il quittera les fourneaux dès les vacances de la construction pour entreprendre d’autres projets. Il désire notamment apprendre la langue thaïe afin de pouvoir déchiffrer son alphabet dépaysant.
L’Itinéraire est à la recherche d’un employé pour chausser de bien grands souliers. «Ce sera un immense défi que de trouver une telle perle, surtout compte tenu de la pénurie de main-d’œuvre qui frappe présentement le milieu de la restauration et plus largement les services alimentaires», estime Charles-Éric Lavery, directeur du développement et de l’impact social à L’Itinéraire.
Selon Paul Bergeron, le rôle exige trois ingrédients clés : l’intérêt, le temps et la force, autant physique que mentale. «C’est un milieu qui garde actif. On reste longtemps debout et il faut soulever des charges lourdes. Il faut aussi bien savoir gérer les priorités et déléguer, parce qu’on travaille souvent à l’intérieur de délais serrés», énumère-t-il.
Le sentiment d’appartenance qui en découle, par contre, en vaut la chandelle. «En bénévolat, on ne compte pas les heures, dit-il. Il n’y a pas d’appât du gain, ni d’objectifs de performance. C’est comme si je recevais mes cousins, mes frères ou les amis de mes enfants chaque matin et chaque midi.»