L’affirmation selon laquelle chaque personne ingère cinq grammes de plastique chaque semaine est grandement exagérée. Ceci étant dit, les microplastiques devraient tout de même nous préoccuper, constate le Détecteur de rumeurs.
« Je vois régulièrement une publicité d’AquaAction (voir ci-bas) dans laquelle il est mentionné qu’on avalerait l’équivalent en microplastiques d’une carte de crédit par notre consommation d’eau. Et ce, chaque semaine. S’il m’apparaît évident que le microplastique est un problème environnemental, le fait qu’on en ingère autant me semble exagéré », s’interroge Jo, enseignant à Trois-Rivières.
À l’occasion de la Journée mondiale de l’eau, le 22 mars dernier, AquaAction avait lancé une campagne nationale visant à sensibiliser la population aux problèmes environnementaux liés à l’eau douce. Par le fait même, l’organisme sans but lucratif canadien espérait faire « connaître les solutions de pointe émergentes ». La publicité à laquelle réfère notre lecteur s’inscrit dans cette offensive médiatique.
Grande incertitude
Cette histoire prend sa source en 2019. Le Fonds mondial pour la nature (WWF) avait alors diffusé un rapport qui avançait qu’un « être humain pourrait ingérer environ cinq grammes de plastique chaque semaine » soit « l’équivalent de la quantité de microplastiques contenue dans une carte de crédit ». L’ONG basait son affirmation sur une étude de l’Université de Newcastle, non publiée à l’époque, ce que n’avait pas manqué de souligner notre collègue du Soleil dans sa rubrique de vérification des faits.
Depuis, l’étude en question a bel et bien été publiée, dans la revue Journal of Hazardous Materials. Les auteurs y exposent comment ils sont arrivés à ce chiffre surprenant de cinq grammes de microplastique ingurgités chaque semaine. Il s’agit en fait de la limite supérieure de la fourchette estimée par les chercheurs. La limite inférieure est quant à elle de 0,1 g, soit 50 fois moins.
Pourquoi un tel écart ? C’est que leurs calculs se basent sur 59 études publiées avant 2021 qui se sont intéressées aux microplastiques contenus dans divers aliments et boissons. Faute de données suffisantes, seules quelques catégories ont été considérées : les fruits de mer, la bière, les sels de table et l’eau potable. Ce qui est loin de représenter une diète complète, conviennent les auteurs.
Ils ont en outre élaboré des scénarios pour tenir compte de la masse et de la forme variables des particules de microplastique que renferment ces aliments et boissons. Et pour tenir compte de la quantité des aliments et boissons qu’une personne « typique » absorbe. Les chercheurs reconnaissent donc que leurs analyses sont perfectibles, mais suggèrent que la réalité se situerait près de 0,7 g par semaine.
Un problème de santé publique
Au-delà de ces incertitudes, on peut malgré tout affirmer que les microplastiques représentent un enjeu de santé publique. Depuis les années 1950, ces morceaux de plastique microscopiques (définis comme étant ceux de 5 mm et moins) aux formes et aux couleurs variées, se retrouvent partout dans l’environnement : vraiment partout, depuis l’Atlantique jusqu’à l’Arctique en passant par les chaînes de montagnes des Alpes et des Pyrénées. On en a trouvé dans une fosse sous-marine, à 11 000 mètres de profondeur, ainsi qu’à 8440 mètres d’altitude, au sommet de l’Everest.
Les sources de tous ces microplastiques sont nombreuses. Ils proviennent en grande partie de la fragmentation et de la dégradation d’une foule de produits de notre quotidien : poussière des pneus, engins de pêche, emballages de nourriture et de boissons, sacs en plastique, brosses à dents, mégots de cigarettes, etc. Les vêtements synthétiques en sont eux aussi une bonne source : une étude en 2016 évaluait qu’une seule brassée de linge rejetterait dans les égouts jusqu’à 700 000 de ces microfibres de polyester, de nylon ou encore d’acrylique, toutes apparentées au plastique.
Pas étonnant dans ces conditions que les microplastiques aient été retrouvés aussi bien dans les organismes d’animaux comme le béluga ou comme plusieurs espèces d’oiseaux de l’Arctique, que chez l’humain. En moyenne, un individu ingérerait entre 74 000 et 121 000 de ces particules microscopiques par année. Celles-ci peuvent être mesurées dans le sang, ce qui indique qu’elles sont susceptibles d’affecter tous les organes du corps. On en a aussi retrouvé des traces dans le système digestif et dans le placenta.
Mais jusqu’à quel point cette exposition est-elle nocive pour la santé ? La vraie réponse est qu’on l’ignore. Une récente revue de la littérature scientifique à ce sujet — réalisée par les mêmes chercheurs que l’étude commanditée par le WWF — conclut que les microplastiques de 5 mm à 0,001 mm et les nanoplastiques ont des effets toxiques sur l’humain. Les répercussions physiques inhérentes à l’ingestion de petites particules, comme de subir des lésions, sont quant à elles négligeables.
Il y a toutefois deux bémols. D’abord, la plupart des travaux sur lesquels se base cette étude ont été menés sur des animaux ou des cellules humaines, ce qui rend leurs conclusions difficiles à généraliser. Et selon un rapport de février dernier du Centre de collaboration nationale en santé environnementale, il « n’existe aucune étude épidémiologique sur l’ingestion de microplastiques par l’humain à l’heure actuelle ». Une revue de 2017 de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture et un rapport de 2019 de l’Organisation mondiale de la santé pointent aussi dans le sens de la prudence d’interprétation.