Il y a une dizaine d’années, l’économie circulaire et le zéro déchet n’étaient discutés que par quelques personnes en Birkenstock et en sarouels. Mais d’un rapport accablant du GIEC à l’autre, on se conscientise et on réalise l’importance de se tourner vers des modèles durables, d’où les emplois verts.
Selon ECO Canada, «la croissance des emplois en environnement sera trois fois plus grande que dans les autres secteurs dans les prochaines années», indique Christoph Stamm, chargé de cours à l’Université de Montréal et membre de la Chaire de recherche sur la transition écologique de l’UQAM.
Métro a voulu en savoir davantage sur les employeurs verts en s’adressant à Kevin Drouin-Léger, directeur des opérations de la Centrale agricole, laquelle regroupe 21 entreprises fonctionnant sous le principe de l’économie circulaire, et Andréanne Laurin, titulaire d’une maîtrise en sciences de l’environnement et cofondatrice des Épiceries LOCO, des commerces zéro déchet qui proposent en plus des produits locaux et biologiques.
Une définition plutôt floue
Avant toute chose, il faut savoir qu’un emploi vert, ça n’a pas la même signification pour tout le monde. «C’est un concept très flou, explique Christoph Stamm. Il n’y a pas de définition unique: elle peut être plus ou moins stricte et comprendre plus ou moins d’emplois.»
Souvent, on dit que ce sont des emplois qui visent directement à réduire l’impact environnemental des activités humaines. Mais si je donne un cours en politique environnementale, est-ce que ça compte? Ou l’agriculture biologique, ça serait des emplois verts, non? Pourtant, c’est souvent exclu.
Christoph Stamm, chargé de cours à l’Université de Montréal et membre de la Chaire de recherche sur la transition écologique de l’UQAM
Ce qui est ou non un emploi vert est donc assez arbitraire. Un travail dans l’économie circulaire est généralement considéré comme tel, mais ceux dans un commerce zéro déchet, pas nécessairement, bien qu’ils réduisent l’impact sur l’environnement. Souvent, c’est parce qu’ils ne demandent pas de qualifications supplémentaires.
L’universitaire indique que les technologies propres sont habituellement considérées comme un secteur d’emplois verts, mais on peut aussi se questionner: fabriquer des batteries pour des véhicules électriques, est-ce vraiment écologique? Et si on fait des panneaux solaires, mais qu’on les produit dans une usine au charbon?
Selon Statistique Canada – qui a une définition plutôt limitée de ce qui est ou non un travail vert, de l’avis de M. Stamm –, moins de 2% des emplois au pays entreraient dans cette catégorie. «ECO Canada a une définition moins restrictive et arrive avec le double d’emplois verts, donc presque 4% des emplois au total au pays», illustre-t-il.
Une gestion différente
Tant à la Centrale agricole qu’aux Épiceries LOCO, réduire son empreinte de carbone vient avec plus de gestion. On ne réunit pas 21 entreprises en se croisant les doigts pour que toutes les initiatives de collaboration naissent par magie!
«Un des défis pour la pérennisation de nos initiatives, c’est d’avoir un facilitateur, ce qui est un peu le rôle de la centrale, explique en effet Kevin Drouin-Léger. Il faut une bonne communication, il faut des porteurs de projets, il faut des agents de médiation pour s’assurer que toutes les entreprises de la centrale trouvent leur compte.»
C’est pour ça que quelques personnes sont employées directement par la centrale, pas par une des entreprises qui en font partie. On retrouve, entre autres, un.e techincien.ne en économie circulaire qui joue ce rôle de liaison.
Les tâches des employé.e.s des Épiceries LOCO sont aussi un peu différentes de ce qu’on a l’habitude de voir ailleurs.
«Notre grande particularité, c’est qu’on a un service à la clientèle éducatif, raconte Andréanne Laurin, dont l’entreprise offre de la formation continue à son personnel. On a beaucoup d’explications à donner et les clients ont beaucoup de questions, entre autres sur l’empreinte écologique des aliments. Ça peut être une grosse charge pour les employés, donc il faut qu’ils soient engagés dans la mission environnementale et motivés.»
L’idée, ce n’est pas toujours de créer plus d’emplois, mais aussi de transformer ceux qui existent pour les rendre plus écologiques. Par exemple, plutôt que d’appeler une compagnie de gestion des matières résiduelles, une brasserie pourrait faire affaire avec la Centrale agricole. Les drêches seraient alors transformées pour être consommées au lieu d’être envoyées dans un centre d’enfouissement. On remplace donc un métier par un autre.
Pas juste pelleter des nuages
Ce que ces établissements ont en commun, c’est une mission environnementale, oui, mais aussi un modèle d’affaires économiquement viable qui leur permet de s’inscrire dans le temps et de transformer, à leur échelle, le monde du travail.
«La motivation est environnementale, mais pour pérenniser un modèle comme le nôtre, il faut qu’il y ait un bénéfice économique, assume pleinement Kevin Drouin-Léger. Aucune entreprise ne va pérenniser une initiative environnementale si elle ne trouve pas son compte.»
Ainsi, plutôt que de dépenser en publicité et de travailler avec des réseaux de distribution comme le font les chaînes traditionnelles, les Épiceries LOCO ont misé sur des relations de proximité avec les producteur.rice.s afin de leur offrir une rémunération juste. «C’est important que les producteurs plus écologiques soient capables de bien vivre pour que le modèle soit durable», insiste Andréanne Laurin.
Ce sont même des raisons économiques qui sont à l’origine de la Centrale agricole. Une étude du Laboratoire sur l’agriculture urbaine publiée en 2017 ciblait comme principaux freins à l’agriculture urbaine commerciale le manque d’accès aux espaces de production adéquats et à du financement traditionnel. En rassemblant plusieurs entreprises sous un même toit, on réduisait les coûts.
De cette économie collaborative est née l’idée de l’économie circulaire: pourquoi dépenser temps et argent pour aller chercher du marc de café pour aider à faire pousser des champignons quand on a un torréfacteur dans le local voisin?
Repenser notre façon de concevoir un modèle d’affaires en gardant en tête l’environnement, ce n’est pas choisir la facilité, avouent Andréanne Laurin et Kevin Drouin-Léger. Mais c’est nécessaire pour faire face aux changements climatiques.