Fini les brunchs, les voyages et les lattes parfaits sur Instagram, bienvenue aux photos de poubelles ou de vieux sandwichs et aux captures d’écran louches. Loin d’une esthétique ultra léchée, la mode du délabré et du banal s’est fait une place sur la populaire plateforme. Métro s’est penché sur le phénomène.
Si la majorité des utilisateurs d’Instagram continuent de se montrer de manière flatteuse en photos, on observe en effet une nouvelle tendance qui entre en totale opposition avec ce qui était populaire auparavant sur le réseau social.
«L’individu a tendance à vouloir partager des moments joyeux, à se présenter de manière avantageuse, de sorte que lorsqu’on défile sur Instagram, on peut avoir l’impression que la vie est parfaite pour tout le monde. Ça peut être irritant pour les personnes qui voient ça, qui en viennent à se sentir insatisfaites de leur vie», croit Emmanuelle Parent, cofondatrice et directrice générale du Centre pour l’intelligence émotionnelle en ligne, doctorante et chargée de cours en communication à l’Université de Montréal.
En réaction à tant de perfection et tant d’images qui dépeignent une vision idéale du quotidien, on veut donc montrer du vrai, du banal et même du laid, explique-t-elle.
Nostalgie, nonchalance et banalité
D’après Roxane Nadeau, experte en gestion des réseaux sociaux, «il y a une certaine nonchalance dans cette nouvelle esthétique sur Instagram» qui fait écho aux débuts des années 2010, époque à laquelle les réseaux sociaux ont véritablement commencé à prendre de l’ampleur et où l’on était moins dans le contrôle de notre image virtuelle.
«Pendant la pandémie on est revenu à la mode des photo dump qui nous ramène aux débuts de Facebook, quand tu allais à un party avec un appareil photo numérique, que tu prenais 74 photos et que tu les mettais toutes dans un album photo sans te poser de questions», souligne-t-elle.
Emmanuelle Parent associe également la résurgence du photo dumping pendant la pandémie à une volonté de documenter la banalité et le quotidien sans chercher à la sublimer.
«Lorsque les gens étaient confinés chez eux, ils n’avaient pas de sorties à documenter, explique-t-elle. Ils ne vivaient rien de marquant, alors le photo dump fournissait un flot d’images banales de leurs vies.»
Une esthétique du moche
C’est aussi un phénomène générationnel, croit Emmanuelle Parent. La génération Z veut se réapproprier et se défaire des codes établis par la génération Y sur les réseaux sociaux. «Les jeunes tendent à rompre avec les pratiques de leurs aînés pour avoir un sentiment d’appartenance et se développer une identité propre. Tout mouvement punk est mis en place par des jeunes en réaction à un statu quo qui, dans ce cas, est la beauté sur Instagram», rappelle-t-elle
Mais même cette mode n’est pas complètement spontanée, souligne l’experte. «C’est aussi une construction, un choix dans la manière de représenter la réalité. Il ne faut pas juger de la vie d’une personne en se basant sur ses photos même si elles ont l’air plus authentiques.»
La pratique du shitpost est notamment bien réfléchie et a pour but de créer un effet comique ou de surpris en intégrant des images délavées, mal compressées ou des captures d’écran à un carrousel de photos où l’on trouve aussi des photos plus léchées. On voit aussi certain.e.s faire le choix d’une esthétique grunge dans laquelle autant le sujet de la photo que la photo elle-même sont «moches». Les rues sales, les poubelles, les graffitis deviennent alors des sujets qui méritent d’être photographiés.
Le laid, est-ce que ça vend?
Instagram étant un puissant outil de marketing, cette mode servira-t-elle en publicité? «Le potentiel commercial reste à prouver», répond Roxane Nadeau.
«Les marques avec un public cible jeune, qui travaillent avec des créateurs de contenu, qui veulent avoir l’air à l’avant-garde, ont tout à fait avantage à aller dans ce sens si ça correspond à leur personnalité », indique pour sa part Emmanuelle Parent.
«Par la nature informelle et banale de ces photos, on a l’impression d’entrer dans vie la privée de la personne, de mieux la connaître, ce qui pourrait profiter à ceux qui vendent leur marque d’influenceur», poursuit-elle, précisant qu’elle n’en a pas vu d’exemples pour le moment.