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Justine et Claire ou être amies malgré 68 ans d’écart 

Photo: Justine Latour

Alors qu’elle travaillait sur une série de photographies, Justine Latour s’est liée d’amitié avec Claire Sigouin, l’une de ses sujets. Une amitié pas comme les autres puisqu’à ce moment-là, la photographe avait 32 ans. Claire, elle, était âgée de 100 ans. 

Durant les sept dernières années de vie de Claire, Justine et elle ont en effet été amies. C’est dans le cadre d’un projet photo littéraire nommé Vivre cent ans et dressant le portrait de différent.e.s centenaires que Justine et Claire se sont rencontrées. 

Une fois le projet terminé, les deux femmes sont restées proches et Justine a continué à rendre fréquemment visite à Claire. Elle la prenait alors en photo sans but précis, si ce n’était pour immortaliser ces moments passés avec elle. «Quand j’ai rencontré Claire, j’étais enceinte. À la naissance d’Arthur, je le lui ai présenté, et elle a bâti une relation avec lui aussi», raconte d’ailleurs la photographe.  

Justine gardait ces clichés pour elle, jusqu’au jour où Yann Fortier, qui est directeur général de l’exposition World Press Photo à Montréal et qui travaille au sein de la même maison d’édition qu’elle, lui propose de publier les photos des centenaires qui n’avaient pas été mises dans le livre. Mais, comme entre-temps quelques-uns d’entre eux étaient malheureusement décédés, l’angle de l’expo a finalement changé pour se concentrer sur Claire, alors âgée de 107 ans.  

Claire Sigouin / Crédits photo : Justine Latour

Devenues amies, les deux femmes pouvaient passer des heures à jaser de leurs vies et à regarder des vieilles photos de Claire. Mais y a-t-il un clash de générations lorsqu’on se lie d’amitié avec une personne qui est beaucoup plus âgée que soi?  

«C’était certainement mon amie la plus prude. Avec son éducation, certains sujets, comme la vie amoureuse et les chicanes de famille, n’étaient pas abordés. Mais sinon, elle comprenait toute ma vie, répond Justine. Elle n’a pas eu d’enfant, mais comprenait ce que je vivais avec Arthur. Elle suivait mon quotidien. Il y avait quelque chose de très simple et vrai.»  

Justine Latour / Crédits photo : Justine Latour

Vivre jusqu’à 107 ans 

Les 70 années qui séparaient Claire et Justine n’étaient donc pas un obstacle aux yeux de la photographe. «La différence entre cette amie-là et mes autres ami.e.s, c’était toute la dimension historique, témoigne-t-elle. Elle a tout vu arriver: il n’y avait pas de téléphone, de frigo, de voiture quand elle était jeune. Elle était en vie pendant les deux guerres [mondiales] et elle a survécu à la grippe espagnole.» 

Claire a mené jusqu’à l’âge de 107 ans une vie active, demeurant lucide jusqu’à son décès. Justine raconte qu’elle avait même parfois de la difficulté à avoir son amie au téléphone tellement celle-ci était tout le temps en action. Claire, qui a conduit sa voiture jusqu’à l’âge de 104 ans, occupait son quotidien en jouant à la pétanque, en allant voir ses ami.e.s et en les recevant dans la maison de banlieue où elle avait toujours vécu. 

La centenaire, qui avait été couturière et avait enseigné la couture, fabriquait aussi tous ses vêtements de même que ceux de sa sœur. «Même dans ses derniers moments, elle était coquette», se rappelle Justine. 

Claire Sigouin / Crédits photo : Justine Latour

S’il est remarquable de connaître une telle longévité, l’aplomb qu’a eu Claire tout au long de sa vie l’est tout autant. «Claire n’a jamais plié sous la pression de quelqu’un. Elle savait ce qu’elle voulait et était très lucide. Elle n’a jamais eu d’enfant et ne s’est jamais mariée, malgré les normes sociales de l’époque», illustre Justine.  

Aller vers l’autre 

Bien que Justine ait connu Claire dans le cadre d’un projet de photo, un contexte qui favorisait l’intimité, elle croit qu’on a tout à gagner à s’ouvrir à l’autre. «J’ai appris d’elle à être plus ferme et à essayer de moins acheter la paix. […] Moi, je ne crois pas que je lui ai appris beaucoup, mais je pense qu’elle a apprécié le fait d’avoir une nouvelle amie, d’exister dans un regard neuf.» 

Si elles se parlaient et se voyaient souvent, c’est surtout Justine, dans les débuts, qui appelait Claire pour converser, la dame ne voulant pas la déranger. Mais dans les dernières années, Claire se le permettait aussi.   

Cette relation et, plus largement, ses rencontres avec des centenaires ont aussi changé la vision que Justine avait de la vieillesse. Alors que plusieurs lui ont confié avoir vécu les meilleures années de leur vie à 70 ans, l’idée de vieillir – en santé, bien sûr – n’est plus angoissante pour la photographe.  

«On a tout intérêt à s’intéresser à un éventail de gens, pour s’enrichir, mais il faut que ce soit sincère, souligne-t-elle. On ne peut pas forcer ces relations-là, comme toute relation, dans le fond.» 

Se préparer au deuil de l’autre 

Se lier d’amitié avec une personne d’un âge avancé vient avec le fait qu’on doit se préparer à vivre un deuil. Mais, comme nous le fait considérer Justine, n’est-ce pas aussi le risque que l’on prend lorsqu’on s’engage dans toute relation? «S’économiser une peine, c’est parfois un réflexe, admet la photographe. Mais je serais passée à côté de toutes ces années-là avec Claire, et de cette expo qui nous a rendues vraiment heureuses.»  

Son amie, qui était née en 1915, est décédée à l’automne 2022, à l’âge de 107 ans. «Ça m’a beaucoup attristée quand elle est partie, se souvient Justine. Mais, en prenant des photos des gens, je documente qui ils sont, et c’est une manière pour moi de les garder vivants.»  

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