De plus en plus, la consommation de poissons, calmars et poulpes crus se développe alors que sushis japonais, poke hawaïen et autres ceviches péruviens gagnent nos tables. Or ces plats ne sont pas sans risque puisqu’ils peuvent nous exposer aux divers parasites véhiculés par ces animaux lorsqu’ils sont insuffisamment cuits…
ANALYSE – Ce problème n’est pas à prendre à la légère. Chaque année, près d’une personne sur dix est atteint d’« anisakiase » après avoir consommé de tels aliments contaminés. Plus précisément, l’Organisation mondiale de la santé estime que quelque 56 millions de cas d’infections parasitaires sont associées à la consommation de produits de la pêche chaque année.
Aujourd’hui, l’anisakiase est donc un problème de santé émergent à l’échelle mondiale. Elle est également une préoccupation économique, en raison des potentiels effets négatifs sur la confiance des consommateurs et des problèmes commerciaux associés aux produits de la pêche infestés.
Les vers qui nous parasitent
Parmi les parasites transmis par les poissons, trois grands groupes sont capables de nous infecter : les vers plats, les vers à tête épineuse (acanthocéphales) et les vers ronds (nématodes).
Les infections par un opisthorchidé, une famille de vers plats, sont les plus fréquemment diagnostiquées, mais il se retrouve principalement en Asie de l’Est et du Sud-Est. Son impact au niveau mondial est donc moindre que celui de certains nématodes de la famille des Anisakidae. Les espèces des genres Anisakis, Pseudoterranova et Contracaecum sont ainsi au cœur d’une grande partie des préoccupations médicales.
En particulier, l’anisakiase (ou anisakidose), causée par des larves de nématodes appartenant au genre Anisakis, est considérée comme la principale menace pour la santé humaine. Chaque année, sur tous les continents, d’innombrables cas sont décrits, qui sont liés notamment à l’augmentation de la consommation de certains produits comme les sushis ou les sashimis.
Rien qu’au Japon, où il est traditionnel et courant de manger ces plats à base de poisson cru et de fruits de mer, l’incidence annuelle moyenne de l’anisakiase dépasse les 7 000 cas cliniques.
Le long chemin du ver jusqu’à notre estomac
Comment se retrouve-t-on atteint d’anisakiase ? La réponse réside dans la compréhension du cycle de vie du parasite.
Le genre Anisakis comprend neuf espèces, dont trois (A. simplex, A. pegreffii et A. physeteris) ont été confirmées comme pathogènes zoonotiques pour l’homme. Ces nématodes parasitent un large éventail d’organismes marins et leur cycle de vie inclut les dauphins, les baleines, les phoques et d’autres mammifères en tant qu’hôtes finaux, ainsi que les poissons et les céphalopodes (poulpes, etc.) en tant qu’hôtes intermédiaires.
Les vers adultes se trouvent initialement dans la muqueuse de l’estomac des mammifères marins, où ils se reproduisent. Les œufs du parasite sont ensuite expulsés par les fèces de l’animal et vont se développer dans l’eau de mer. Désormais sous forme de larve, les nématodes vont infecter des crustacés (krill). Lorsque ces crustacés sont la proie de poissons ou de calmars, le parasite (sous forme de larve toujours, mais de troisième stade) peut gagner les intestins du prédateur et s’enkyster à la surface de ses organes, puis dans sa musculature.
Et c’est là que nous intervenons : nous pouvons devenir un hôte accidentel du parasite en mangeant des céphalopodes ou du poisson cru ou insuffisamment cuit, ou même fumé, salé ou saumuré, contenant des larves d’Anisakis (du troisième stade). Une fois ingérées, ces dernières s’installent dans notre estomac et notre intestin grêle.
Urticaire, douleurs d’estomac et vomissements
Une fois chez nous, le parasite est piégé… Il ne peut plus se reproduire, mais peut survivre pendant une courte période et provoquer l’anisakiase. La maladie, qui varie de légère à grave selon la personne infectée, peut se manifester par des troubles gastriques, intestinaux et abdominaux, des manifestations allergiques (quatorze allergènes ont été décrits) et même un choc anaphylactique. L’infection peut s’installer en dehors de l’appareil gastro-intestinal, mais ce phénomène est rare.
Les symptômes les plus typiques de l’anisakiase gastrique comprennent des douleurs abdominales, des nausées et des vomissements dans les heures qui suivent l’ingestion des larves. L’atteinte de l’intestin grêle est moins fréquente, mais lorsqu’elle se produit, elle peut entraîner une inflammation massive et des symptômes subaigus, similaires à ceux de la maladie de Crohn, qui se développent une à deux semaines plus tard.
En outre, certains travailleurs de l’industrie de la pêche, cuisiniers et autres professionnels qui manipulent régulièrement du poisson peuvent souffrir d’anisakiase allergique professionnelle. Dans ce cas, l’ingestion de larves ou l’exposition orale au parasite n’est pas nécessaire pour que la maladie se manifeste : la sensibilisation se fait par l’intermédiaire des protéines d’Anisakis qui entrent en contact avec leur peau ou leurs voies respiratoires.
Le pronostic global de l’anisakiase est positif. La plupart des infections sont limitées et disparaissent spontanément après plusieurs semaines. La transmission de personne à personne n’est pas possible.
Ceviche, sashimi et anchois marinés
Le saumon, le thon, le calmar, la morue, le merlu, le maquereau, le chinchard, le merlan bleu, les sardines et les anchois font partie des espèces les plus fréquemment parasitées.
Plus de 90 % des cas d’anisakiase dans le monde sont signalés au Japon, et la plupart des 10 % restants dans des pays tels que l’Espagne, l’Italie, les États-Unis (Hawaï), les Pays-Bas et l’Allemagne. Il s’agit de régions où l’on consomme traditionnellement des plats de poisson cru ou insuffisamment cuit, tels que le sushi et le sashimi, le ceviche et le carpaccio, les anchois marinés ou saumurés, le saumon lomi-lomi à la hawaïenne et le hareng salé. (En France, une étude de 2016 estimait le nombre de cas à 10 par an en moyenne (contre 20 en Espagne, etc. ou un pic à 30 cas décrits en Italie en 2005), avec un développement en cours notamment au niveau des allergies. Il n’y a pas encore de système de surveillance épidémiologique, ndlr).
Comment se débarrasser du parasite
Peut-on éviter de contracter l’anisakiase ? Les mesures préventives sont essentielles pour contrôler la maladie, et certaines permettent de minimiser le problème. Tout d’abord, bien que les vers résistent au marinage et au fumage, la cuisson à des températures supérieures à 63 °C détruit les larves. Une température atteinte en les faisant frire, cuir au four ou griller.
L’Espagne, qui fait partie des pays les plus concernés en Europe, son Agence pour la sécurité alimentaire et la nutrition signale que les préparations traditionnelles de produits de la pêche (friture, cuisson au four, grillade) inactivent le parasite, car elles permettent d’atteindre une température de 60 °C pendant au moins une minute.
Les semi-conserves (en récipients étanches et pasteurisées, salées, séchées, etc.), comme pratiquées sur les anchois, les morues… impliquent des processus qui tuent le parasite.
Une autre solution courante est la congélation, car les larves sont détruites lorsqu’elles sont soumises à une température de -20 °C pendant sept jours, ou de -35 °C pendant plus de 15 heures. Si votre réfrigérateur a moins de 3 étoiles, il est par contre prudent d’acheter du poisson congelé.
Dans certains pays, pour accroître la sécurité alimentaire des consommateurs, les sushis préparés commercialement sont même congelés avant d’être mis en vente.
En outre, il est préférable de procéder à une inspection visuelle du foie, des gonades et de la cavité viscérale des poissons éviscérés, ainsi qu’à une inspection des filets de poisson. Les législations européennes exigent que les produits de la pêche montrant des parasites visibles ne soient pas mis en vente. Il est conseillé d’acheter des poissons propres et éviscérés.
Tous les fruits de mer ne sont pas soumis aux mêmes astreintes. Les huîtres, moules, palourdes, coquillages et autres mollusques bivalves, ainsi que les poissons provenant des eaux intérieures (rivières, lacs, marais…) et des piscicultures d’eau douce, comme les truites et les carpes, ne nécessitent pas de congélation.
De même, les poissons issus de l’aquaculture peuvent être exemptés de l’obligation de congélation, à condition qu’ils aient été élevés à partir d’embryons obtenus en captivité, qu’ils aient été nourris avec des aliments exempts de parasites zoonotiques et qu’ils aient été maintenus dans un environnement exempt de parasites viables.
Texte de Raúl Rivas González, membre de la Société Espagnole de Microbiologie et professeur de microbiologie à l’Université de Salamanque.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.