À table

Amoureux… à plusieurs

Jeudi soir, dans un restaurant du centre-ville de Montréal, une vingtaine de personnes discutent de relations de couple. À tour de rôle, elles racontent comment elles ont rencontré leur premier conjoint, puis leur deuxième, et comment tous vivent au quotidien ce polyamour. Sophie a découvert l’an passé que Marc était attiré par une autre femme. Après 22 ans de mariage et 4 en­fants, le choc a été brutal. «C’était comme si je recevais une brique sur la tête, avoue Sophie. Marc m’a expliqué qu’il aimait une autre femme, mais qu’il continuait de m’aimer.»

Après plusieurs discussions et après avoir consulté plusieurs livres sur le polyamour, Sophie en est venue à accepter la relation qu’entretenait Marc avec une autre femme. «J’ai été surprise de mon ouverture d’esprit, dit-elle, mais les sentiments de Marc étaient tellement sincères… Cette expérience a amené quelque chose de nouveau dans notre couple. Une sorte d’intensité.» Le terme polyamour a été inventé aux États-Unis au début des années 1990. Il fait référence à une relation «franche et honnête» avec plusieurs partenaires. Hétérosexuels, homosexuels ou bisexuels peuvent y trouver leur compte tant les possibilités sont multiples, selon le fondateur de l’Association québécoise des polyamoureux, Jean-François Villeneuve.

«Le polyamour est une relation qui peut théoriquement se ramifier à l’infini, explique-t-il. Je peux être en couple avec une femme, qui elle est en couple avec un autre homme ou une autre femme. Ça n’a pas de fin.» Karine, une trentenaire monogame, vit avec un polyamoureux depuis une dizaine d’années. Pour le moment, il s’est lié seulement à Patricia, mais il est ouvert à rencontrer d’autres femmes. «Je l’ai averti que Patricia et moi pourrions aussi rencontrer quelqu’un, fait savoir Karine. On ne veut pas être 10 polyamoureux liés ensemble. Ce sera ingérable.»

Mise à part la gestion du temps, il y a le tempérament des partenaires qui peut rendre les relations polyamoureuses très difficiles. Au début, Karine était incapable de sentir Patricia, qui n’était pas la première conquête de son conjoint. «C’était ma pire ennemie, admet-elle. Je me demandais ce qu’elle venait faire dans mon couple.» Après plusieurs discussions, souvent orageuses, les deux femmes ont baissé la garde et elles ont réussi à développer une amitié profonde, ce qui fait que le trio planifie vivre un jour tous sous le même toit et avoir des enfants.

Sophie, pour sa part, n’a jamais éprouvé de sentiment négatif à l’égard de cette autre femme qui avait conquis le cÅ“ur de son mari. Elle a échangé avec elle quelques courriels, mais elle n’a pas eu le temps de la rencontrer. C’est que le mari de la maîtresse de Marc a intimé à celle-ci de mettre fin à cette relation extraconjugale, et s’est pliée à sa demande. Malgré tout, Sophie affirme être sortie grandie de cette expérience. «J’ai fait un cheminement, confie-t-elle. S’il y a quelque chose qui se passe pour Marc comme pour moi, je vais être plus à l’aise.»

Ce processus d’acceptation de l’amour multiple peut prendre des années, comme ce fut le cas pour Karine, mais il peut aussi se faire instantanément. L’auteur du livre Irrésistible amour, Gilles Levasseur, dit avoir accepté d’emblée la présence de Denis, le partenaire de sa femme Marie. «J’avais le goût qu’elle soit heureuse, alors j’ai lâché prise tout de suite», laisse tomber cet ancien lecteur de la messe catholique. Depuis maintenant 17 ans, les trois polyamoureux vivent ensemble dans la même maison.

Toutefois, M. Levasseur s’est brouillé avec sa famille, qui n’acceptait pas son mode de vie. «Ça ne me dérange pas, affirme-t-il. Je suis trop bien là-dedans.» Beaucoup de polyamoureux présents lors de la soirée d’échange ont parlé du fait qu’ils ont dû couper les ponts avec des amis mais aussi avec leurs parents qui ont de la difficulté à accepter leur mode de vie. Karine est en quelque sorte l’exception qui confirme la règle. Elle a annoncé cet été à ses parents qu’elle vivait avec un polyamoureux et que cette amie qui les accompagnait régulièrement à leurs rencontres de famille était en fait sa deuxième conjointe. «Ils ont posé des questions, mais ils n’ont vu aucun problème, rapporte-t-elle. Mon père m’a dit que si c’était ma façon de vivre et que j’étais bien là-dedans, qu’il n’y avait pas de problème.»

Profil du polyamoureux
«Le polyamour, ce n’est pas pour tout le monde», soutient le fondateur de l’Association québécoise des polyamoureux, Jean-François Villeneuve. Lui-même se dit polya­mou­reux depuis sa naissance. «J’ai vécu toute ma vie en essayant de rester dans la norme, mais je n’y suis pas parvenu, raconte-t-il. Je me demandais si je n’étais pas dépendant affectif ou sexuel jusqu’à ce que je tombe sur le polyamour.» Les polyamoureux se disent  dénuées de sentiment de jalousie. Elles disent aussi avoir un appétit de vivre insatiable.

Combien y a-t-il de polyamoureux?
Difficile de dire combien de polyamoureux peuplent le Québec, selon le président de l’Association québécoise des polyamoureux, puisque plusieurs ont adopté secrètement ce mode de vie. Selon la sexologue Jocelyne Robert, le phénomène serait très marginal. «Quand on est en amour par-dessus la tête, ça demande tellement d’énergie qu’on ne peut pas aimer trois ou quatre personnes en même temps. On meurt. [Le polyamour] ne peut pas convenir à tout le monde».

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