À table

Ces gens qui ont peur des fruits

La carpophobie, vous connaissez? Elle se définit par la peur des fruits.

Pour les gens qui souffrent de ce trouble, les bananes, les pommes, les poires et les mandarines, pour ne nommer que ceux-là, deviennent source de stress, de dégoût et de malaises divers.

C’est le cas de Stéphanie (nom fictif) qui déteste être en contact, visuel ou physique, avec ces inoffensifs végétaux. Pour cette femme de 31 ans, rien n’est pire qu’une pelure de banane ou un trognon de pomme. Elle réagit physiquement (nausées, stress, etc.) et psychologiquement lorsqu’elle est en contact avec des fruits, et ce, depuis sa plus tendre enfance. «Ça me donne automatiquement mal au cœur, explique Stéphanie. C’est vraiment un dégoût.»

Gilles est lui aussi carpophobe, et est en plus lachanophobe, c’est-à-dire qu’il a aussi la phobie des légumes. Son alimentation est donc exempte de fruits et de légumes. «C’est sans doute en rapport avec la texture, dit Gilles Dorschner, qui est jardinier-paysagiste. Je peux manger un velouté de légumes, mais s’il y a des petits morceaux, j’ai l’estomac qui bloque.»

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Pour les deux phobiques, c’est vraiment la texture de ces aliments qui est en grande partie responsable de leur dégoût maladif. Stéphanie, comme Gilles, peut en effet boire des jus de fruits ou des smoothies à base de fruits, voire des compotes, mais manger les fruits tels quels, pas question. «Et il ne faut pas que je regarde quand ils font mon smoothie», précise Stéphanie.

Gilles Dorschner, âgé de 40 ans, ne mange ni fruits, ni légumes depuis qu’il a trois ans. Sa phobie aurait commencé de façon soudaine au moment où ses parents lui ont retiré sa suce. Le lendemain, il refusait de manger tout fruit et légume.

Phénomène extrêmement rare, la carpophobie n’affecte que très peu de gens et ne s’exprime pas de la même façon d’un individu à l’autre. Alors que Gilles n’a aucun problème à manipuler des fruits et des légumes, Stéphanie, elle, ne veut pas les voir, ni les toucher. À l’épicerie, elle passe rapidement dans l’allée des fruits et légumes. Elle évite aussi d’être en contact avec les gens lorsqu’ils mangent des fruits.

«Cette semaine, mon chum a acheté une banane et je l’ai cachée derrière la courge, raconte la carpophobe. C’est psychologique, mais je ne dois pas la voir, et il ne doit pas la manger devant moi.»

Même si cette phobie suscite étonnement et curiosité dans l’entourage des personnes qui en souffrent, elle peut être une source de honte pour les carpophobes. Pour Gilles, son aversion pour les fruits et les légumes est très difficile à vivre socialement. «Plus on avance en âge, plus on se retrouve autour d’une table, et quand on t’invite à souper, tu sais que le repas sera forcément sujet à stress», dit Gilles, qui avoue avoir honte et se sentir marginal.

Avis d’expert
À une époque où on nous dit depuis la petite enfance de manger nos 5 à 10 portions de fruits et légumes quotidiennement, quel impact un régime sans fruits peut-il avoir sur la santé?

«Je ne crois pas être en super santé et je ne mange pas très bien, admet Stéphanie, qui en plus de ne pas manger de fruits, est végétarienne.

Gilles, pour sa part, ne fait pas d’efforts particuliers pour être en bonne santé, malgré sa diète sans végétaux. «Parfois, je me sens moins énergique que d’autres, mais je n’ai pas de problème de santé», dit ce Français qui habite au Québec depuis 10 ans.

Marie-Josée Rainville, nutritionniste à la clinique Muula, ne s’inquiète pas outre mesure d’un régime sans fruits, «à la condition que la personne compense en mangeant plus de légumes». Mais dans le cas où une personne ne mangerait ni fruits, ni légumes, comme  Gilles, la nutritionniste craint que la personne ne développe des carences.

Un risque de scorbut est aussi à considérer. La prise de multivitamines peut être une option intéressante, bien que les vitamines et les nutriments sont toujours mieux assimilés lorsqu’ils viennent de l’alimentation, explique Mme Rainville.

Carpophobie, une phobie ou une aversion?

Le psychologue Camillo Zacchia, qui est aussi le vice-président de l’organisme Phobies-Zéro, aurait plus tendance à utiliser le terme aversion, ou encore obsession, pour qualifier le trouble qui affecte Stéphanie et Gilles. «Mais ça dépend, si ça empêche ces gens de bien fonctionner, précise-t-il. C’est tellement particulier que ça ne doit pas affecter le fonctionnement à beaucoup de niveaux.»

«Les gens n’ont qu’à éviter l’objet de leur inconfort et ça n’affecte pas beaucoup leur vie, explique le psychologue. Mais plus on évite quelque chose, plus on renforce la peur.»

Quoi qu’il en soit, selon le spécialiste de l’Institut Douglas, il s’agit d’une forme de trouble anxieux. D’autres professionnels de la santé classent la carpophobie dans la catégorie des troubles de l’alimentation atypiques.

Pour traiter ce genre de phobie, M. Zacchia aurait tendance à préconiser une thérapie cognitivo-comportementale, pour déceler la source de la peur et ensuite proposer une exposition à l’objet qui provoque la peur pour réaliser une forme de désensibilisation progressive.

Stéphanie se dit relativement en paix avec son mode de vie et ne souhaite pas entreprendre de thérapie, alors que Gilles a un fort désir de régler ce problème.

Il a d’ailleurs déjà consulté un psychologue et un hypnothérapeute, sans succès. Il avait dû arrêter les séances, faute de moyens, mais aimerait beaucoup trouver quelqu’un capable de l’aider dans ses démarches.

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