Le sourire radieux, la designer Elisa C-Rossow nous a accueillie virtuellement dans son nouvel atelier ouvert en février dernier à Pointe-Saint-Charles. «Il y a quelque chose de vraiment authentique dans le quartier», note celle dont l’atelier se trouvait précédemment dans la Petite-Bourgogne, à l’orée de Griffintown. La prolifération des tours de condos et des restos au détriment des petits antiquaires – qu’elle affectionnait tant – l’aura toutefois poussée à relocaliser ses quartiers généraux dans un environnement qui l’inspirerait davantage.
C’est dans son petit espace lumineux, orné de grandes fenêtres, du Sud-Ouest qu’elle reçoit pour une séance d’essayage sur mesure sa clientèle, épatée par la beauté de l’atelier, sis dans le vieil immeuble industriel en briques rouges Sharwill, qui abrite aujourd’hui des lofts.
Un rendez-vous «chez elle», c’est une expérience en soi, affirme l’artiste, qui compte parmi ses indéfectibles clientes la comédienne Karine Vanasse et l’autrice-compositrice-interprète Cœur de pirate. D’où l’importance à ses yeux de travailler dans un espace qui l’inspire et qui offre une expérience de magasinage complètement différente, unique. Et que l’on est assuré de quitter muni de pièces nous seyant à la perfection. Et qui transcenderont le temps.
À contre-courant de la mode
Ce n’est pas que ses vêtements contemporains haut de gamme, minimalistes et sophistiqués, qui font la marque d’Elisa C-Rossow: elle se distingue également par sa mentalité foncièrement à contre-courant des tendances et de la mode éphémère, prônant des valeurs antigaspillage, éthiques et écoresponsables.
Je me suis toujours plus considérée comme une artiste que comme une fashion designer, car je ne fais pas de fashion dans la vie [au sens de mode jetable et de tendances passagères].
Elisa C-Rossow, designer
Ces valeurs se sont imposées tout naturellement, nous relate celle qui a d’abord étudié en arts en France, suivant des cours marquants sur l’histoire de l’art et des costumes, puis qui a opté pour le design de mode à l’École supérieure des arts et techniques de la mode à Paris… où elle se sentait «comme le vilain petit canard», ne s’arrimant pas du tout avec le concept établi de fashion.
«Je me suis rapidement rendu compte que je haïssais ça, la mode et les tendances, affirme-t-elle avec aplomb. Cette année, c’est telle couleur… je n’étais pas d’accord avec ça.»
«Ça m’a attristée que le vêtement ait été perçu comme une pièce d’art il y a très longtemps et qu’on ait perdu cette notion. Ça me choquait que le vêtement soit devenu un morceau de surconsommation, comme la pâte à dents ou le papier de toilette. On achète des t-shirts à 5 $, on les porte une fois, on les met en boule dans son placard, puis on les jette », s’indigne-t-elle.
Un constat s’est imposé : afin de créer comme elle l’entendait – et redonner au vêtement la valeur qu’il mérite –, elle devrait créer sa marque, ce qu’elle a réalisé en 2008. Et si la mode conventionnelle ne lui convenait pas, quoi faire? s’est-elle demandé à l’aube de sa vingtaine.
Réponse: de l’intemporel, soit le contraire de l’éphémère, du périssable, où les nuances neutres — le noir et le blanc pour maîtresses — régneraient sur des tenues structurées exemptes de motifs.
Petite robe noire, chandail à manches courtes, veston et pantalon (ou short, c’est l’été, après tout) noir : les indispensables d’une garde-robe durable, selon la designer Elisa C-Rossow. Morceaux choisis puisés dans sa collection estivale.
Pièces intemporelles pas plates
Apprendre à sa clientèle à conférer de nouveau du sens et de la valeur artistique aux vêtements, c’est ce qu’Elisa C-Rossow fait depuis 14 ans maintenant, à Montréal. Elle fabrique avec fierté des classiques de la garde-robe faisant fi des saisons et des tendances frivoles, qu’elle revoit au fil des années. Et en ne cédant à aucun compromis sur la qualité.
Afin que l’on entretienne une longue relation avec nos vêtements, le tissu doit être luxueux, tout comme les finitions, explique la créatrice. Et lorsqu’on met le temps de créer un classique ou un basique, parole d’Elisa que ce n’est jamais plate!
«Je peux passer trois jours à travailler sur un manteau, pour qu’il soit balancé visuellement, que le col arrive juste à la bonne place, etc. Je travaille beaucoup le design du morceau, ce qui fait qu’il sera porté dans dix ans.»
L’éthique, une mentalité, pas une mode
Pour Elisa, fabriquer ses vêtements intégralement à Montréal venait de soi. Elle se fait un point d’honneur de les confectionner à la commande, en collections limitées – une pratique que l’on observe de plus en plus dans le milieu de la mode québécoise, d’ailleurs – afin de lutter contre ce qui constitue un fléau à ses yeux : la surproduction. Qu’elle fustige avec ardeur.
Un concept qui m’a toujours choquée dans le milieu de la mode, c’est la surproduction. Produire plus pour vendre plus et donc gaspiller plus.
Elisa C-Rossow, designer
Produire plus signifie augmenter son empreinte carbone, souligne-t-elle. «Alors que si je produis seulement lorsque je vends, je peux garder une plus petite empreinte écologique.»
La designer a poussé son engagement environnemental encore plus loin en adoptant l’économie circulaire. Afin de diminuer ses déchets, ses retailles de tissu d’origine végétale (coton, lin…) – déjà réduits au minimum dès l’étape des patrons – sont transformées en papier par un atelier montréalais, papier bleu nuit destiné à ses propres étiquettes. Elle se réjouit d’ainsi pouvoir qualifier certains de ses vêtements de zéro déchet.
«Être capable de réduire ma poubelle au maximum, c’est une richesse inestimable», déclare la designer, qui fabrique «les gros trois quarts» de ses vêtements à son atelier. Le reste est confectionné dans un atelier sur Chabanel, avec qui elle travaille depuis des années. «La marge d’erreur est donc minuscule», précise-t-elle.
La détractrice de la production de masse rappelle par la même occasion une âpre réalité: des ateliers de confection, ici même à Montréal, continuent d’exploiter leurs employés. Elle met donc en garde: un vêtement fabriqué à Montréal n’est pas forcément éthique. «Des tissus cheap importés de Chine ou des étiquettes en polyester, ce n’est pas très éthique non plus», ajoute-t-elle.
Même le message d’Elisa C-Rossow invitant à s’abonner à son infolettre sur son site traduit son pied de nez à la fast fashion! «Nous nous concentrons à créer votre prochaine pièce préférée, nos infolettres sont envoyées lentement.»
Trucs pour acheter éthique à petit budget
Profiter des soldes de saison des designers locaux: Elisa fait pour sa part deux soldes de fin de saison par année.
S’abonner aux infolettres des designers: Elisa dissémine de petits cadeaux, comme des rabais de 15% par-ci et par-là, tout au long de l’année.
Investir dans des classiques: ça vaut le coup de meubler sa garde-robe avec des morceaux polyvalents toute saison et de qualité, «comme une petite robe noire, un beau pantalon noir ou un joli chandail à manches courtes noir, qui nous font impeccablement, que l’on peut porter au travail, au mariage d’une amie ou à un concert», expose la designer.
Acheter de meilleure qualité pour dépenser moins: investir dans des morceaux plus durables plutôt que d’acheter plus souvent beaucoup de morceaux de moins bonne qualité, qui ne dureront pas.
Ne pas suivre la mode: faire la part belle à des morceaux qui vont traverser les années, aussi bien sur le plan de la qualité que du style.