«Mon père était conducteur de tramway à partir de 1926, puis conducteur d’autobus jusqu’à sa retraite en 1966», dit-il. «Mon grand-père était charretier. Avant lui, mes arrières grands-parents étaient cultivateurs dans ce qu’on appelait alors Saint-Laurent. Le nom de Cartierville a été donné au quartier en 1906», raconte-t-il. «J’ai commencé à pratiquer la médecine en 1957. Et sur vingt ans, j’ai fait beaucoup d’obstétrique. Au long de ma carrière, j’ai pratiqué 6200 accouchements.» De cette période, le Dr Laurin se souvient d’un quartier peu peuplé et ses accouchements, il les a pratiqués autant à Sainte-Thérèse qu’à Montréal centre. «Jusqu’en 1952, Cartierville était un village, mi-urbain mi-rural, dont au moins 50% du territoire était des terrains vagues.Il y avait des gens sur la rue Cousineau qui avaient de grands terrains en 1940, mais il n’y avait plus de cultivateurs», se souvient-il. «Moi je suis né et j’ai été élevé sur le boulevard Gouin, pas loin de la rue de Poutrincourt. Je peux vous nommer tous les propriétaires du boulevard Gouin, de la rue de Poutrincourt jusqu’à l’église.» Puis, se tenant le menton de la main droite, il compte sur les doigts de la main gauche et murmure : «Il y avait de la rue Fillion jusqu’à Forbes 4 ou 5 maisons. Sur la rue Cousineau, ente Gouin et la voie ferrée, une quinzaine de maisons. Sur Depatie, Lavigne, O’Brien — entre Gouin et la voie ferrée — une dizaine de maisons. Sur Saint-Germain, il y’avait deux maisons. Il y’avait une maison au coin de la rue Louisbourg. Deux maisons sur la rue Jasmin et Crevier…», puis il se tait, perdu dans ses souvenirs. «Il reste peut-être dix familles vivant encore dans le quartier de cette époque», note-t-il.
Les temps nouveaux
Reprenant son souffle, le docteur Laurin continue de partager ses souvenirs : «À partir de 1952, il y a eu le développement de la construction domiciliaire. On a construit dans ce qu’on appelait la paroisse Sainte-Odile, sur la rue Fillion, Guertin, Lavigne, Depatie. On a construit de Gouin jusqu’à la voie ferrée et on a développé la rue Grenet. À ce moment-là, Cartiervile a perdu son caractère villageois», estime-t-il.
Pour le docteur Laurin, qui a lui-même quitté Cartierville en 2001, les gens sont partis pour des raisons économiques. «Aucun de mes enfants n’est resté à Cartierville», avoue-t-il. Pour lui : «il ne reste plus de sentiment d’appartenance à Cartierville».
«Pour le 100e anniversaire de la paroisse de Saint-Joseph de Bordeaux, on a eu de la difficulté à trouver des commanditaires. Alors que pour le 50e ou le 75e, on trouvait des commanditaires et c’était des commerçants de la place.» Et il s’interroge : «Qui sont aujourd’hui les commerçants du quartier qui vivent dans le quartier?»
«Il n’y a pas d’appartenance religieuse non plus. Autrefois, on disait Bordeaux et Cartierville. J’allais à l’école ou à la messe à Cartierville.»
Le Dr Laurin et son épouse sont connus pour leur engagement dans le quartier. C’est le militantisme de Mme Laurin qui a permis la construction du centre Y de Cartierville. Tout le monde s’accorde à dire que cet édifice a changé le visage d’une portion du quartier qui était problématique.
Le parc Belmont
L’histoire urbaine de Cartierville au 20e siècle se confond avec celle du parc Belmont. Dr Laurin se souvient. «J’y ai travaillé sept ans. Tu disais à un Montréalais je viens de Cartiervile, il ne savait pas où c’était. Mais quand tu disais le parc Belmont, tout le monde savait de quoi tu parlais.»
«C’était une source d’emploi l’été pour les étudiants et les retraités. Pour les commerçants, c’était une mine d’or.» Mais pour les Cartierviilois, c’était aussi une source de désagréments durant la saison. «On avait tous hâte que ça ouvre et on avait tous hâte que ça ferme. Les gens prenaient le tramway 17. Ça filait et ça brassait dans tous le sens pendant un mile. Ils avaient des sensations fortes avant même d’arriver au parc », se remémore-t-il.
Mais pour le Dr Laurin les belles années du parc Belmont, c’était les années 40 et 50. «À partir de l’année de l’expo et l’ouverture de la Ronde, le parc Belmont attirait beaucoup moins de monde. La fermeture du parc devait arriver. Il avait fait son temps.»
Lorsqu’on demande au Dr Laurin si le projet d’aménagement des berges va donner un nouveau pôle d’attraction à Cartierville, mais aussi à tout l’arrondissement il répond : «J’aimerai savoir comment. C’est bien beau d’avoir des berges, mais où est-ce qu’on va prendre le terrain ? Il faudra exproprier pour récupérer des terrains. Ça va coûter cher pour aller se promener en bicycle sur les berges», s’amuse-t-il. «Je vous le dis, n’y allez pas nager, la rivière est dangereuse !»