«[Notre] culture ne s’arrête pas au griot et aux bananes plantains», souligne Pierre Réginald Azar, l’un des fondateurs d’une nouvelle association qui vise à «faire rayonner» la communauté haïtienne dans Rivière-des-Prairies.
«À RDP, souvent, quand on parle de communauté noire – très souvent les Haïtiens –, on parle de personnes défavorisées. C’est ça qui apparaît. On ne met jamais l’accent sur le côté positif de notre communauté. On veut faire voir qu’on a une richesse, notre façon de vivre. On doit la faire valoir auprès des autres communautés pour favoriser la paix sociale et vivre ensemble», détaille Pierre Réginald Azar.
L’homme de 33 ans, né à Haïti, est arrivé au Québec en avril 2010, «après le tremblement de terre du 12 janvier». Il fait partie des quelque 7800 Haïtiens qui peuplent l’arrondissement de Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles.
Pourtant, si la communauté haïtienne compte pour environ 31% de la population issue de l’immigration dans RDP-PAT, il estime qu’elle n’est «pas assez bien représentée». Surtout «comparativement à la communauté italienne» (24,6% de la population immigrante).
C’est à partir de ce constat que le Prairivois d’adoption a créé avec d’autres citoyens l’Association socioculturelle de la communauté haïtienne (ASCCH) de RDP-PAT.
Un des premiers rôles de cet organisme est de «faire rayonner la culture haïtienne», une culture qui «contribue à la richesse du Québec», affirme le coordinateur action et mobilisation. Au travers de l’ASCCH, les fondateurs souhaitent ainsi faire partager à toute la population la culture de leur pays d’origine.
Car celle-ci va bien plus loin que la riche gastronomie d’Haïti. L’ASCCH voudra ainsi promouvoir le rara, style musical propre à Haïti, la danse folklorique, l’artisanat et les artistes haïtiens.
«On a beaucoup d’écrivains dans notre communauté», précise le trentenaire, citant Dany Laferrière en exemple.
Plus de solidarité dans la communauté
La toute nouvelle association vise à faire partager une culture en manque de visibilité, mais pas seulement. Elle veut aussi offrir un espace pour que les Haïtiennes et Haïtiens puissent se retrouver.
«Je suis arrivé comme immigrant il y a 12 ans, raconte l’infirmier auxiliaire. J’avais mis en perspective ma richesse culturelle, ma langue… J’ai vécu le racisme systémique, mais ce n’était pas une faiblesse pour moi, c’était une force, car je suis resté collé à ma culture.»
Il souhaite ainsi faire partager cette dernière aux autres membres de sa communauté, qui a besoin selon lui «de plus de solidarité». Des évènements seront organisés tout au long de l’année, comme la création d’espaces de discussion et de réseautage. Le point d’orgue sera chaque 18 mai, jour de la fête du drapeau haïtien.
Un des projets de l’ASCCH est de mettre en place un microcrédit pour la communauté haïtienne. Il s’agit d’un système de fonds propres réinvestis à faible taux d’intérêt pour dépanner ceux qui en auraient besoin, ou qui pourrait aussi servir à soutenir «des projets de bienfaisance»[VM1] .
«Parfois, des jeunes qui ont besoin de sous vont emprunter de l’argent à des requins qui vont faire payer des taux d’intérêt très élevés [ce qui cause] un problème d’endettement encore plus grave. On doit s’organiser entre nous, s’entraider», analyse-t-il.
Des projets de développement social tel que celui-ci viendront ainsi donner un poids économique et culturel à la communauté haïtienne, et l’aideront à s’intégrer en préservant son identité.
«On doit garder notre côté haïtien. Quand on parle d’interculturalisme, il faut aussi connaître la culture de l’autre. La poutine griot, c’est un très beau mélange [rires]. Toutes ces choses-là, c’est une richesse […] ça fait émerger d’autres choses. On travaille sur des buts communs, on veut évoluer ensemble… ça va créer plus de paix sociale», assure le jeune Haïtiano-Québécois.
Un tabou autour du créole
«Si on a peur de parler notre langue, on ne va nulle part», martèle Pierre Réginald Azar. Il explique qu’un véritable tabou linguistique règne dans la communauté haïtienne. Les parents ou grands-parents éprouveraient ainsi de la «honte» à parler créole, sentiment parfois alimenté par un manque de compréhension du français par les précédentes générations. Un tabou qui sera aussi apparu à l’époque de l’esclavage, où l’on forçait les Haïtiens à parler en français.
«Les enfants n’arrivent pas à se retrouver, il y a un problème d’identité. Il faut avoir une base et ne pas oublier nos racines pour poursuivre dans la culture québécoise.»
À RDP, des banques reçoivent par exemple leurs clients en italien, à l’image de la large communauté qui y vit. De ce constat découle la volonté de la nouvelle association de pérenniser la langue et la culture créole et de la transmettre aux enfants au travers d’activités socioculturelles.
«Les jeunes nés ici commencent à se réapproprier cette langue-là. C’est une richesse pour le Québec», indique le coordinateur de l’organisme.