Société

La pandémie a facilité la conciliation emploi-famille… mais moins pour les femmes

Un père travaille

Un père travaille à la maison.

Sophie Mathieu, Université TÉLUQ et Diane-Gabrielle Tremblay, Université TÉLUQ - La Conversation

Le télétravail a été «dans une large mesure, quelque chose d’imposé et cela a été, dans l’ensemble, bien vécu», concluait en juin un rapport portant sur les premières semaines du confinement imposé au Québec. Quelques nuances, toutefois, doivent être apportées au sujet de la conciliation emploi-famille.

Par Sophie Mathieu, Université TÉLUQ et Diane-Gabrielle Tremblay, Université TÉLUQ

ANALYSE – Alors que le Québec se déconfine, plusieurs parents et enfants se réjouissent d’un retour à une certaine normalité, notamment avec la reprise des activités sportives et, dès la rentrée, parascolaires.

Pourtant, cette reprise des activités pourrait affecter la conciliation emploi-famille de nombreux Québécois.

Car même si les femmes ont souffert davantage que les hommes des premiers mois de la pandémie, la majorité des parents travailleurs québécois ont estimé avoir une conciliation emploi-famille «facile» au printemps 2020, au moment où les enfants étaient pourtant gardés à la maison en raison du confinement généralisé.

Depuis le début de la pandémie, nous nous intéressons à l’expérience de conciliation emploi-famille telle que rapportée par les parents, à partir de données d’enquêtes compilées par notre partenaire de recherche, l’initiative Concilivi du Réseau pour un Québec famille (RPQF). À la demande du RPQF, la firme Léger a été mandatée pour mener des enquêtes auprès des travailleurs québécois afin d’évaluer leur situation et leur bien-être en matière de conciliation emploi-famille.

Nous rapportons ici les résultats de deux enquêtes menées en ligne auprès de 3006 travailleurs québécois avec des enfants, effectuées entre le 8 et le 23 janvier 2018 et entre le 7 et le 22 mai 2020. Dans les deux cas, les résultats obtenus ont été pondérés selon le sexe. Même si ces deux enquêtes ne sont pas longitudinales, elles permettent de faire des comparaisons intéressantes sur l’expérience de conciliation avant et pendant la pandémie.

Trois conditions favorables

Les données de 2020 révèlent que seulement 34 % des parents ont estimé avoir eu une conciliation emploi-famille plus complexe en raison de la pandémie. Mais le constat le plus inattendu de nos analyses est celui d’une hausse dans la proportion de parents qualifiant leur conciliation emploi-famille comme étant facile en temps de pandémie. Par exemple, les données indiquent que 56 % l’affirmaient en 2018, mais cette proportion grimpe à 62 % en 2020, en pleine période de confinement, alors que les écoles et les services de garde étaient fermés.

Notons toutefois que ce sentiment de plus grande facilité est plus élevé chez les hommes que chez les femmes. On ne peut exclure, également, que les parents avec les situations de conciliation les plus complexes aient décidé de quitter leur emploi, temporairement ou de manière permanente

Nous expliquons ce constat à la lumière de trois observations.

1. L’empathie des employeurs envers les parents travailleurs

Les employeurs ont fait preuve d’un haut niveau d’empathie à l’égard des employés avec des responsabilités familiales au printemps 2020. Avant la pandémie, des recherches montraient que le soutien organisationnel, par l’entremise des collègues ou du supérieur, était associé à une diminution des conflits entre les activités professionnelles et familiales. Ce constat s’avère encore plus vrai en période de crise.

Au printemps 2020, en plein confinement, 87 % des parents ont affirmé que leur employeur s’était montré « très » (50 %) ou « assez » (37 %) compréhensif de leur situation. Des analyses plus fines ont aussi montré que le soutien offert de la part des organisations ne variait pas selon le sexe ou la catégorie d’emploi, ce qui suggère que les employeurs comprennent les responsabilités familiales des pères, tout comme celles des mères.

2. La mise en place du télétravail à grande échelle

Avec le confinement du printemps de 2020, les organisations ont dû rapidement adapter leur mode d’organisation, de sorte que près d’un travailleur sur deux était en situation de télétravail au printemps 2020 selon les données de l’INSPQ.

Avant la crise sanitaire, les matins et les fins d’après-midi étaient des périodes particulièrement occupées pour les parents, en raison du chevauchement entre les activités professionnelles et familiales. Le télétravail a permis d’atténuer ce chevauchement, en raison de la diminution des temps de déplacement. Aussi, l’annulation des activités sportives et parascolaires des enfants et des événements sociaux des adultes a permis de donner un peu de répit aux parents qui doivent normalement conjuguer toutes ces activités, surtout après la réouverture des écoles et des services de garde.

3. Le contexte sociétal québécois favorable à l’égalité entre les genres

Il faut rappeler que le Québec est la province canadienne avec la politique familiale la plus généreuse, et avec le taux d’activité des mères de jeunes enfants le plus élevé. Entre autres, la majorité des pères utilisent des prestations de paternité à la naissance de leur enfant. Le contexte social et institutionnel québécois favorise donc, dans une mesure plus grande que les autres provinces, l’égalité des genres et l’implication des hommes dans les tâches de soins.

Un coût plus élevé pour les femmes

L’analyse des données de 2020 révèle par contre que l’âge des enfants a clairement teinté l’expérience de conciliation : seulement la moitié des parents d’enfants d’âge préscolaire ont affirmé avoir une conciliation emploi-famille facile en 2020, contre 73 % des parents d’enfants de 13 ans et plus.

Le constat le plus frappant est toutefois celui de l’effet genré de la pandémie sur l’activité économique des femmes et sur leur bien-être général. Ce constat fait d’ailleurs l’unanimité en Europe, aux États-Unis, et au Canada.

Par exemple, l’écart entre l’activité économique des mères et des pères canadiens s’est accentué, même en contrôlant les caractéristiques professionnelles. Entre les mois de février et de mai 2020, l’écart entre le taux d’emploi des hommes et celui des femmes est passé de 0,8 % à 7,3 % pour les parents d’enfants d’âge scolaire et de 1 % à 2,5 % pour les parents d’enfants d’âge préscolaire.


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Au Québec, une proportion inférieure de mères que de pères ont estimé avoir une conciliation emploi-famille facile (58 % contre 65 %), sans doute en raison de l’enseignement qui s’est fait à la maison, et dont elles ont été davantage responsables.

Comparativement aux pères, les mères se sont aussi senties plus souvent irritées (72 % contre 63 %), fatiguées (89 % contre 74 %), stressées (77 % contre 63 %), tristes (63 % contre 46 %) et angoissées (65 % contre 53 %) que les hommes, et elles ont été moins nombreuses à se qualifier comme étant détendues (66 % contre 71 %).

En dépit de ces difficultés accrues vécues par les mères, une étude canadienne a montré une plus grande implication des pères dans les soins aux enfants depuis le début de la crise. Différentes tendances semblent donc à l’œuvre ici, soit des défis plus marqués pour les mères, mais aussi l’augmentation de l’engagement des pères et une facilité de conciliation emploi-famille pour une majorité de parents.

Sophie Mathieu, PhD en sociologie, experte de la politique familiale québécoise, Université TÉLUQ et Diane-Gabrielle Tremblay, Université TÉLUQ

La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation.

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