Société

La pandémie de Covid-19 a aggravé l’âgisme dans notre société

Pascale Dangoisse, Amelie Doucet, Caroline D. Bergeron, Martine Lagacé - La Conversation

La pandémie de COVID-19 a été révélatrice à la fois d’un «âgisme systémique» au Québec et d’une certaine indifférence de la part des médias et de la société, envers les personnes âgées. Comment les représentations et les images des personnes aînées, telles que véhiculées par les médias au début de la pandémie, influencent-elles la perception qu’a la société à leur endroit?


Pascale Dangoisse, L’Université d’Ottawa/University of Ottawa; Amelie Doucet, Université du Québec à Montréal (UQAM); Caroline D. Bergeron, L’Université d’Ottawa/University of Ottawa, et Martine Lagacé, L’Université d’Ottawa/University of Ottawa

ANALYSE – Les médias sont des «influenceurs» puissants dans nos sociétés. Ils façonnent en partie les normes et les attentes à l’égard des membres de différents groupes sociaux.

C’est ainsi que les représentations collectives produites et reproduites par les médias sur l’âge et le vieillissement influencent la façon dont les aînés perçoivent leur propre processus de vieillissement, ainsi que celui de celles et ceux avec qui ils sont en lien.

En tant que doctorantes chercheuses en communication, en santé publique et en psychologie sociale, nous avons ainsi voulu analyser les représentations et les images des personnes aînées, telles que véhiculées par les médias au début de la pandémie. Pour ce faire, nous avons entrepris une analyse descriptive de 85 commentaires et opinions parus dans les quotidiens La Presse et Le Devoir durant la première vague, soit entre mars et mai 2020. L’objectif? Déterminer comment la presse écrite a dépeint les aînés et le processus de vieillissement et dans quelle mesure les médias ont potentiellement contribué aux attitudes et comportements âgistes au pays. Nous nous sommes concentrées sur les commentaires, opinions, et éditoriaux, car il s’agit là de vecteurs importants d’expression d’opinions diverses.

Nos résultats ont confirmé plusieurs de nos hypothèses. Ainsi, les aînés ont été sous-représentés dans le discours médiatique d’opinion durant la crise de la Covid-19 et dépeints surtout de manière négative.

Dans de nombreux cas, ils ont été décrits comme faisant partie d’un groupe «homogène» et comme des personnes «vulnérables». Des manifestations d’âgisme compassionnel ont facilité l’association de l’âge chronologique à des stéréotypes de fragilité et de dépendance des aînés, amenuisant ainsi leur agentivité, c’est-à-dire la capacité qu’ils ont d’agir sur leur propre vie.

Un discours négatif envers les aînés

Nos résultats révèlent aussi que dans la plupart des cas, le processus de vieillissement et les personnes aînées étaient décrits de manière négative, par le biais de références terminologiques telles que «isolé», «seul», «malade» et «mort». La fréquence de termes plus positifs tels que «résilience», «santé» et «porteur de sagesse» était largement moindre dans le discours d’opinion des médias. D’ailleurs, ce discours dominant autour des aspects négatifs du vieillissement concernait principalement les personnes aînées vivant dans des établissements de soins de longue durée (qui ne représentent pourtant que 6,8 % de la population aîné au Canada).

En revanche, les aînés vivant à domicile ou dans des résidences pour personnes âgées autonomes ont été peu ou pas représentés.

Quant à savoir qui a pris la parole ou a été invité à le faire dans les médias pendant la pandémie, nos résultats révèlent que les aînés ont été plutôt silencieux, voire quasi absents du discours ; précisément, très peu d’articles d’opinion étaient signés par des personnes aînées elles-mêmes ou incluaient leur voix et leur perspective, par le biais d’extraits d’entrevues par exemple.

Dans le cas des articles d’opinion rédigés par les aînés, l’accent a été mis sur les contributions sociétales des retraités «en bonne santé». En d’autres termes, les médias d’opinion ont pris la parole au nom d’un groupe très restreint de celles vivant en CHSLD.

Ce faisant, le discours médiatique s’est fait l’écho d’une représentation du vieillissement principalement comme un processus de perte et de déclin, ayant pour thèmes prédominants la vulnérabilité, la solitude et la dépendance. Nos analyses révèlent que la population aînée est décrite comme n’étant pas en mesure de prendre part à la lutte collective contre le virus, d’où le fait que d’autres doivent les protéger, voire se sacrifier à leur place.

Un âgisme hostile

L’une des retombées négatives des stéréotypes fondés sur l’âge est qu’elle peut conduire à des attitudes prescriptives. Ces attitudes mettent l’accent sur la façon dont les choses «devraient être» par opposition à «ce qu’elles sont réellement», comme l’a décrit Susan Fiske, de l’Université de Princeton, chercheuse sur les enjeux de préjugés et de stéréotypes. Les attitudes prescriptives âgistes, exprimées par la pitié et la sympathie envers les aînés, prennent ainsi la forme d’un âgisme bienveillant ou compassionnel.

Cependant, en période de crise mondiale, telle que la pandémie de Covid-19, où les ressources peuvent devenir plus limitées, il est plausible de penser que l’âgisme bienveillant pourrait se transformer en âgisme hostile.

Au tout début du confinement, certains signes de telles attitudes hostiles fondées sur l’âge se sont manifestés notamment dans l’univers des médias généralistes et des médias sociaux. Le hashtag «Boomer Remover» a circulé de nombreuses semaines jusqu’à ce qu’il soit enfin retiré.

Certains discours sous-entendaient qu’il n’était pas nécessaire de prendre soin des aînés puisque de toute façon, ils allaient mourir. On entendait qu’il aurait mieux valu confiner uniquement les aînés, afin que le reste de la population puisse continuer à vivre leur vie – une réflexion qui s’approche dangereusement d’une forme d’apartheid générationnel.

Avec de tels discours ouvertement hostiles – et qui plus est, des discours peu dénoncés – le débat public pourrait s’envenimer si la pandémie perdure ou si des enjeux économiques sont en jeu.

Absents du débat et des solutions

Sans contredit, les aînés québécois participent à la vie publique et familiale, en apportant un soutien émotif, physique et financier à leurs proches, enfants ou petits-enfants qui comptent sur eux pour des conseils, pour des moments de répit, d’écoute, d’aide ou de dépannage.

Avec plus de 200 heures de bénévolat annuellement en moyenne, les gens âgés sont généreux de leur temps et nourrissent des liens profonds avec les membres de leur communauté. Et surtout, la résilience dont ils ont fait preuve aux pires moments de la pandémie témoigne de leur capacité à traverser les tempêtes.

Or, l’âgisme a malheureusement pris de l’ampleur durant cette pandémie. La façon dont les médias ont positionné les personnes aînées traduit, trop souvent un message de vulnérabilité et d’incapacité à prendre part au combat contre le virus. Elles sont présentées comme des personnes pour lesquelles le reste de la société doit se battre et faire des sacrifices. Et dans les rares cas où les aînés ont été présentés comme participant à la lutte contre le virus – tout autant que le reste de la population- ce sont eux-mêmes qui ont pris la parole pour rappeler leur rôle et contribution durant cette crise.

Pascale Dangoisse, PhD candidate, Department of Communication, L’Université d’Ottawa/University of Ottawa; Amelie Doucet, Assistant researcher, Université du Québec à Montréal (UQAM); Caroline D. Bergeron, Conseillère principale en recherche, L’Université d’Ottawa/University of Ottawa, and Martine Lagacé, Professeur, L’Université d’Ottawa/University of Ottawa

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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