Mettre du GHB dans le verre d’un ou d’une ami.e, ou même d’une inconnue, à son insu… simplement pour faire rigoler sa bande. Sans idée que le geste serait suivi par une agression sexuelle. Cette blague serait pratique courante selon différentes personnes interviewées par Métro, montrant à quel point l’utilisation du GHB est désormais banalisée. Sans oublier ceux et celles qui consomment personnellement cette drogue de façon récréative.
Encore plus étonnant, cette blague est même parfois banalisée par la victime elle-même.
«Cinquante pour cent de mes amies se sont déjà fait droguer. Ça arrive», raconte Béatrice, qui a eu un lendemain de veille difficile l’automne dernier.
Lors d’une sortie au bar l’Apt 200, elle boit à peine. Pourtant, il ne lui reste en souvenir que quelques bribes de la soirée… et une cicatrice. Elle la remarque dans la douche, le lendemain matin. C’est une sorte de gale, sur sa cuisse, où l’on distingue quelques lettres. «C’est comme pas clair, on voit des traces de piqûres d’aiguille», raconte-t-elle en entrevue. Si on regarde attentivement, en fait, on remarque surtout que la cicatrice prend la forme d’un G, d’un H, puis d’un B. «Ce n’est pas quelque chose que je peux faire en m’égratignant», souligne Béatrice.
Ses souvenirs se résument principalement à une sensation de douleur à l’endroit de la blessure, apparue après une heure au bar. «J’étais vraiment trop saoule, mais pourtant j’avais pas beaucoup bu. On dirait que je ne me souviens pas de ma soirée, juste des petits bouts.» Malgré tout, elle est certaine d’une chose: personne n’a tenté de l’agresser ou de prendre avantage d’elle de la soirée.
«C’est sûr que les gars au bar sont un peu collants, mais jamais j’ai senti que quelqu’un me mettait en danger», affirme Béatrice.
En fin de soirée, après une seule consommation, son amie la retrouve aux toilettes du bar. Après une course difficile en Uber, elle rentre chez elle et s’endort directement sur le sol. Ces temps-ci, entendre des histoires similaires «c’est moins rare», affirme Béatrice.
Je ne veux pas dire que c’est la mode, mais dans mon entourage, il y a des filles qui se font piquer.
Béatrice
Une semaine après l’évènement, elle a toujours une marque sur la cuisse. Elle va chercher de l’aide auprès d’une pharmacienne qui, malheureusement, lui dit qu’elle ne peut rien pour elle. «[La pharmacienne] a dit qu’elle ne pouvait pas savoir c’était quoi», se souvient Béatrice. Elle n’a pas voulu se rendre à la police, de peur de se faire dire à tort qu’elle avait probablement simplement trop bu. À l’instar de la chanteuse Ariane Brunet, Béatrice n’a pas obtenu d’aide du système de santé pour savoir ce qui lui était arrivé.
Juste une blague
En 2017, lors d’une fête, Alice* se fait droguer à son insu. Alors qu’elle «commence à buzzer» des «amis d’amis» l’approchent pour lui annoncer qu’elle est victime d’un mauvais coup: ils ont mis du GHB dans son verre, «à la blague». À l’époque, elle ne se fâche pas et se contente de rigoler à cette hilarante supercherie.
C’est là que l’histoire s’arrête: personne n’a tenté de prendre avantage d’elle. Le but de l’exercice était simplement de lui faire consommer une drogue à son insu. À l’époque, pour Alice*, l’anecdote est complètement banale et les effets de la drogue ne l’ont pas mise K.-O. «Je suis partie en cavale toute la nuit.»
C’était la troisième fois qu’elle ressentait les effets du GHB. Adolescente, elle avait essayé cette drogue pour être saoule «pour moins cher». Un de ses proches était revendeur et en avait reçu beaucoup. «J’étais incapable de bouger ou marcher pis j’avais juste fini par dormir vraiment longtemps», se souvient-elle. La fois suivante, elle s’était fait droguer lors d’une fête. Sa mère était venue la chercher. L’effet du GHB, elle le connaît bien, mais «ça fait vraiment plus badtrip quand tu savais pas que tu allais en prendre», spécifie-t-elle.
Les effets nommés par Béatrice et Alice* sont similaires. «J’avais juste bu un verre, mais j’étais vraiment pas bien», témoigne la première.
Aujourd’hui, Alice* réalise que ce n’est pas banal du tout. «J’aurais vraiment pu me retrouver dans des situations dangereuses», souligne-t-elle. Pourtant, sur le coup, elle se souvient de ne s’être «même pas fâchée» et d’avoir trouvé la blague amusante. Réaction similaire chez Béatrice, qui racontait son histoire à ses amies en riant. «Je l’ai banalisée parce que ça m’aidait», avoue-t-elle.
Ça arrive à la plupart des filles. Éventuellement, ça va t’arriver.
Béatrice
«Je sais que c’est pas une bonne mentalité, assure la jeune femme, mais dans mon entourage, 50% des filles se sont fait agresser ou droguer, donc c’est rendu un peu banal», explique-t-elle. Malgré tout, elle n’ose plus aller dans les bars. Cette histoire a fait grimper son anxiété à l’idée d’aller danser, car elle n’a «toujours pas [sa] réponse par rapport à ce qui est arrivé».
Pas drôle, «mais quand même un peu»
Du côté de ceux qui orchestrent cette «blague» au GHB, on souligne que c’est pour l’humour. C’est ce que pense Xavier* de ses amis qui mettaient du GHB dans le verre d’autres amis pour faire rire le groupe. Lui, il affirme n’avoir jamais pris part à cette pratique. Il aurait toutefois été témoin de cette «blague» à de nombreuses reprises.
Lorsqu’il est questionné à ce sujet, il hésite. «C’est touché», dit-il. Il assure que l’habitude de «spiker» les verres des autres au GHB à la «blague», n’avait sa place que lorsqu’ils étaient entre amis, «juste la gang de chums».
Des fois, on se niaisait, les gars se niaisaient et en mettaient un peu dans les verres des autres. C’est pas tant drôle que ça, mais c’est quand même drôle un peu.
Xavier*
«Juste pour spécifier, moi je trouve pas ça drôle, OK?», a confié Alice* de son côté, victime de ce type de blague. Elle ajoute aussi n’avoir jamais vu une fille jouer ce genre de tour.
Même son de cloche du côté de Félix, qui explique que la consommation de GHB est plutôt répandue dans la communauté gay. «Je sais que les gays en consomment beaucoup pour plusieurs raisons. Genre, ça a zéro calorie et c’est une bonne drogue de sexe», dit-il. Il affirme n’avoir jamais entendu parler de ces «blagues» liées au GHB.
Xavier* assure toutefois que ce n’est jamais arrivé dans un bar, et que ce n’était pas une blague dont les victimes ne faisaient pas partie du groupe.
On l’oublie, mais le GHB est une drogue qui se consomme aussi de manière récréative. Xavier*, lui, en consommait beaucoup il y a quelques années pour reproduire les effets de l’alcool sans en boire: il n’aime pas le goût. Ce n’est pas très difficile à trouver, affirme-t-il. Bien que ce ne soit pas tous les revendeurs qui en vendent et que ce soit une drogue plus rare que d’autres. «Si tu en cherches, tu vas en trouver. Mais tu vas sûrement devoir faire un peu plus de recherche que pour de la kétamine.»
Selon lui, l’explication est simple: «C’est pas tant populaire que ça.»
«On prenait ça straight, avec une gorgée de quelque chose d’autre à côté», se souvient-il. L’effet du GHB, explique-t-il, c’est comme l’alcool, «mais vraiment intense». «Il faut que tu fasses attention à ton dosage parce que très, très, très rapidement tu peux passer tout droit.» Xavier* est clair au sujet du GHB. C’est une drogue qu’il ne recommande pas du tout. «C’est très dangereux, plus que les autres drogues», selon lui. «Si tu rates ton dosage, ça peut très mal tourner facilement.» En d’autres mots, le dosage doit être très bien calculé.
Rappelons que la vente, la production et la consommation de GHB sont illégales au Canada, selon l’annexe I de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
*Les noms suivis d’un astérisque ont été changés à la demande des personnes interviewées.