La célébration du Mois de l’héritage latino-américain en octobre chaque année depuis 2019 est l’occasion pour la communauté hispanique du Québec de mettre en lumière son apport culturel, intellectuel, linguistique et économique. Faisant partie intégrante de l’identité de cette communauté, la langue représente l’un des patrimoines les plus importants pour ses prochaines générations.
«Nous devons être fiers de nos racines», lance Diego Bayancela, père de famille d’origine équatorienne. «C’est essentiel que nos enfants sachent d’où ils viennent et qu’ils comprennent que nous [des parents immigrants] avons une façon différente de voir et de faire les choses parce que nous avons vécu une autre réalité.»
Pour lui, la transmission de la culture passe davantage par la langue. «C’est très important pour moi et ma femme que notre fils Sol puisse communiquer en espagnol. Dès un très jeune âge, il a compris qu’on parle espagnol à la maison et français à l’école.»
Nous lui avons toujours lu des contes en espagnol. Aujourd’hui, à l’âge de huit ans, il est heureux de pouvoir lire dans les deux langues.
Diego Bayancela, Équatorien établi à Montréal depuis 2002
Renforcer l’apprentissage chez les jeunes
«La langue est ce qui nous définit le mieux en tant qu’êtres humains, nous avons la responsabilité de la léguer à nos enfants. Ils ont droit à cet héritage», affirme Mariana Marin, fondatrice et directrice de l’Institut latino-américain de transmission de la langue et de la culture Legados, qui offre des cours d’espagnol langue d’origine et langue étrangère aux jeunes et adultes depuis 2018.
L’organisme à but non lucratif situé dans Le Plateau-Mont-Royal «promeut l’hispanisme et affirme les identités latino-américaines à travers un programme soutenu par la culture, la littérature et les arts».
Mme Marin soutient que l’utilisation de la langue au foyer ne suffit pas toujours pour pouvoir la transmettre aux enfants de deuxième et troisième génération.
«Si les jeunes ne maîtrisent pas la langue ou s’ils ne la parlent pas aussi fluidement que leurs parents, ils cessent de l’utiliser, dit-elle. D’où le besoin de compter avec des espaces officiels de transmission où ils puissent apprendre les spécificités grammaticales, l’écriture, etc., et acquérir l’assurance nécessaire pour pouvoir utiliser la langue avec aisance dans n’importe quel contexte.»
À l’aide de livres, l’institut transmet et valorise la diversité de l’Amérique latine en explorant la littérature, l’accent et le vocabulaire propres à chaque pays.
Soutenir les parents
Dans le but d’accompagner les familles dont au moins un des parents parle espagnol, Legados a ouvert récemment son programme de langue d’origine pour les enfants de 6 mois à 16 ans. Ce programme vise à contribuer à «affirmer l’identité latino-canadienne des nouvelles générations», en offrant un espace interculturel créatif pour l’apprentissage de l’espagnol dès un bas âge.
«Le chant contribue de façon importante au développement du langage, nous proposons donc cette discipline en complément à l’apprentissage de la langue», explique Maria del Pilar Jiménez, codirectrice et coordonnatrice artistique de l’institut.
Elle précise que tous les élèves suivent un cours de chant et de musique adapté à leur âge, leurs intérêts et leurs besoins cognitifs, à un moment ou un autre de leur parcours. Le cours axé sur la stimulation musicale précoce des jeunes de 6 mois à 2 ans, Espagnol en pañales (Espagnol en couches), vise à leur faire découvrir la langue à travers la musique, la sensation corporelle et l’association de paroles.
C’est intéressant de voir comment la transmission de la langue devient un projet familial, même chez les couples interculturels où l’un des parents n’est pas hispanophone.
Maria del Pilar Jiménez, codirectrice de l’Institut Legados
Apprendre en famille
«Je voulais que ma fille entende l’espagnol ailleurs qu’à la maison et qu’elle soit en contact avec d’autres enfants d’origine latino-américaine, parce que c’est juste moi et mes parents qui lui parlons en espagnol», dit la Vénézuélienne Joy Ross-Jones, qui participe au cours de Mme Jiménez avec son mari Michael et sa fille Rose, âgée de deux ans.
«Même s’ils sont tous petits, les enfants se sentent interpellés quand Pilar chante et joue le piano», se réjouit Mme Ross-Jones, qui prend plaisir à apprendre des chansons d’autres pays d’Amérique latine et à les pratiquer avec sa fille et son mari à la maison.
«Michael apprend et pratique sa prononciation en même temps que notre fille. C’est bien que les parents non hispanophones soient impliqués, eux aussi, dans le transfert de la langue.»
Préserver la langue
«Si les enfants de deuxième et troisième génération issus de noyaux familiaux interculturels généralement parlent et comprennent l’espagnol, ils ont plus de difficultés à lire et à écrire que leurs parents», indique Enrique Pato, professeur titulaire au Département de littératures et de langues du monde de l’Université de Montréal.
Intéressé par l’étude du contact linguistique entre le français et l’espagnol au Québec, M. Pato dirige actuellement le Corpus oral de la langue espagnole à Montréal (COLEM), un projet de recherche sur la langue espagnole au Canada qui compte 153 participants immigrants de première et deuxième génération.
«Il y a 95% de probabilités qu’un enfant de première ou deuxième génération parle espagnol si ses deux parents sont hispanophones. Toutefois, ce pourcentage diminuerait considérablement lorsque les parents sont d’origines mixtes, notamment si la mère n’est pas hispanophone», explique-t-il.
Il soutient que la situation s’avère plus complexe pour les enfants de la deuxième ou troisième génération issus d’un foyer interculturel et éduqués dans le système francophone.
«Alors que ces enfants sont généralement bilingues, l’espagnol devient souvent une langue seconde parlée uniquement à la maison et avec un seul des parents, donc les probabilités de transmission de la langue à la prochaine génération dépendront notamment de la mixité du noyau familial qu’ils formeront.»
«Les Latinos, incluant les Espagnols, nous avons un sentiment d’appartenance très fort, ce qui contribue davantage à la transmission de notre langue», affirme M. Pato, qui considère que la croissance de l’immigration issue de pays latino-américains participe à la préservation de la présence de la langue au Québec.
Selon une étude menée par le COLEM, Montréal est la ville qui a le pourcentage le plus élevé de distribution de groupes minoritaires latino-américains au Canada, soit 14,2%.
Selon le dernier recensement de la population canadienne en 2021, 79 729 personnes ont déclaré avoir l’espagnol comme langue maternelle à Montréal, soit 4,6% de la population de la métropole.
Au Québec, ce chiffre s’élève à 177 155 personnes, soit 2,1% de la population de la province.
Source: Statistique Canada
L’institut Legados organise plusieurs activités dans le cadre de la 4e édition du Mois de l’héritage latino-américain à Montréal.
La bibliothèque itinérante de l’institut, Me cuentas un cuento, qui aura lieu le 15 octobre à 14h au parc des Compagnons-de-Saint-Laurent, propose aux familles une occasion d’explorer la diversité narrative de l’Amérique latine à travers des livres et un spectacle littéraire et musical basé sur la visite de contes représentatifs de plusieurs pays.
Le 21 octobre à 19h, l’institut organise dans ses locaux la soirée Noches de cuento, une occasion pour les adultes de partager des contes latino-américains.
Pour en savoir plus
Ce texte a été produit dans le cadre de L’Initiative de journalisme local.