Société

Le migrant

CHRONIQUE – Un classique qui, par définition, n’a rien d’original. Plutôt une cassette reprenant en boucle son plus grand succès. Celui du «c’est la faute de l’Autre» – ce dernier étant, encore une fois sans surprise, l’Étranger. Celui qui, sous les contours d’un homme de paille patiemment caricaturé par le populiste, en vient à perdre son visage, voire son humanité. Au mieux, une réalité nuisible. Au pire, un adversaire.

Réalité nuisible, dans l’optique où si on accepte «généreusement» de «faire notre part», reste qu’il ne faut guère abuser. Notre capacité d’accueil, après tout, revêt ses limites. Comme me sermonnait publiquement Stéphane Venne, ironiquement l’un des créateurs d’Expo 67 et son «Terre des hommes»:

«J’ai jamais invité les 400 000 visiteurs à entrer clandestinement et à s’installer ici. C’est ce genre de pensée magique qui morpionne notre capacité d’accueil. Quand j’adhère au programme Centraide de prélèvement sur chèques de paie, je dis pas “Prenez ce que vous voulez”, je mets 1 chiffre sur ma générosité, en fonction de mes moyens et autres obligations. Un État fait pareil. Seul le lait maternel est gratuit.»

On a beau répliquer que ceci n’a rien de clandestin, que rien n’indique que notre capacité d’accueil est atteinte – même François Legault niait encore récemment la crise du logement -, rien n’y fait.

Le migrant, en gros, n’apporte rien de trop commode. Juste du trouble. Au point où, pour plusieurs, on le conçoit comme adversaire. Celui qui nous empêche de plutôt nous «occuper de nos pauvres». On attend toujours, re-ironiquement, les propositions de lutte à la pauvreté de ces mêmes commentateurs…

Jamais, d’ailleurs, ne leur viendrait à l’esprit d’écrire l’évidence: si des écarts de richesse existent, ces derniers n’ont peut-être pas comme coupable le migrant, mais plutôt la disparité fiscale dont tirent profit, et c’est le cas de le dire, les Bezos, Musk et autres multinationales sans scrupules. Combien de chroniques là-dessus, au fait? On cherche.

***

Le nombre de migrants parcourant aujourd’hui la planète en quête d’asile bat des records. Plus de 100 millions, selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Et la réponse à l’enjeu? Une vraie cata, confirme le Centre pour la migration mixte (MMC): augmentation des décès et disparitions le long des routes migratoires, refoulements violents, expulsions, marchandisation et traites humaines*.

Parmi les nouvelles donnes à considérer: l’injustice climatique. Si «seulement» une cinquantaine de millions de personnes ont dû fuir leur foyer en 2022 pour cause de désastres naturels, les rapports du GIEC évaluent la propension à plus de 200 millions de réfugiés du genre au tournant des prochaines décennies. Du monde à messe.

«Alors quoi?», diront certains, bien confortables dans leur réalité d’Occidentaux gâtés pourris. Triste pour eux, mais bon, c’est la vie.

Entre autres réalités de «la vie», justement, existent la mathématique et autres sciences. Celles qui sont sur le point de rappeler – que ceci plaise ou non – une évidence trop souvent camouflée par notre nombrilisme: l’humanité est interconnectée, intrinsèquement soudée. Parlez-en aux 33 millions de réfugiés pakistanais qui, malgré le fait que leur pays soit un archi-faible émetteur de GES, se sont ramassés cet automne sans domicile, le leur étant dorénavant enseveli sous l’eau. 

Toujours convaincus de l’immunité totale, du point de vue désastre climatique, de notre beau Québec? On se le souhaite aussi, tout comme on souhaitera que ceux chez qui nous cognerons à la porte, le cas échéant, ne nous la referment pas au nez en invoquant les «limites de leur capacité d’accueil» et autres métaphores de lait maternel.

Et comme disait Montesquieu, il y a une mèche:

«Si je savais une chose utile à ma nation qui fût ruineuse à une autre, je ne la proposerais pas à mon prince, parce que je suis homme avant d’être Français, parce que je suis nécessairement homme, et que je ne suis Français que par hasard.»

Pas mal ça.

*https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1940748/migration-internationale-bilan-2022

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