Héloïse Audifax Gauthier, 21 ans, a beau être à la mi-parcours de son bac en enseignement, elle pourrait travailler à temps plein dans une école primaire si elle le souhaitait. Énième signe que la pénurie d’enseignant.e.s dans le milieu scolaire québécois n’a jamais été aussi critique.
«Le besoin est tellement criant. On est tout le temps demandé.e.s», confirme celle qui cumule les remplacements, au primaire et au secondaire, depuis sa première année de bac.
Alors qu’Héloïse s’apprête à entamer sa troisième année sur cinq en enseignement à l’Université du Québec à Montréal, les centres de services scolaires de Laval et de Montréal lui demandent ses disponibilités pour l’année scolaire qui s’amorce dans à peine deux semaines. Et ils seraient prêts à lui offrir un poste — pas que des journées sporadiques de suppléance.
«Il manque tellement de gens dans le milieu scolaire qu’on pourrait mettre ses études sur pause pour faire de la suppléance, prendre un poste pour une année, combler les trous — qu’on ait les qualifications ou non», observe l’étudiante qui réside sur le Plateau.
Elle signale qu’auparavant, les cohortes estudiantines ne pouvaient faire du remplacement avant un certain nombre de stages. Faute de personnel dans les écoles, cette règle a été abolie.
On peut faire du remplacement dès le jour un du bac.
Héloïse Audifax Gauthier, étudiante en enseignement à l’UQAM
Héloïse considère cependant que la pénurie d’enseignant.e.s a une certaine incidence positive sur sa carrière. «C’est l’occasion de se faire du bagage très tôt», indique-t-elle. Aussi formateur soit le remplacement, hors de question pour elle de rater des cours pour faire de la suppléance.
Elle s’estime d’ailleurs chanceuse de pouvoir subvenir à ses besoins en faisant de la suppléance dans une seule et même école primaire — alternative, de surcroît — qui la rappelle sans cesse. «C’est quand même fou», laisse-t-elle tomber. Inutile de butiner d’une école à l’autre dans son cas. «Quand une école nous aime, elle veut nous garder et peut nous appeler chaque semaine.»
En retournant constamment à la même école, la future enseignante au secondaire a eu le bonheur de cultiver des «liens privilégiés» avec les enfants: elle les a presque tous supervisés, ayant même remplacé des spécialistes, en orthopédagogie notamment.
Pas de film… récréatif
Qu’en est-il de la matière qu’elle enseigne lorsqu’elle prend la place d’un.e enseignant.e? Doit-elle en créer, ou au contraire meubler le temps en faisant jouer Dangerous Minds, Dead Poets Society, La passion d’Augustine ou autre film mettant en scène des élèves?
Non, non, assure Héloïse : règle générale, elle suit un plan d’activités et de travaux à effectuer transmis par la personne qu’elle remplace, et les élèves savent ce qu’ils ont à faire.
Au secondaire, toutefois, si quelqu’un remplace le temps d’une période ou d’une journée, le mandat peut être plus corsé. «Le plus gros défi, c’est la gestion de classe, les interactions», estime-t-elle.
Elle précise en outre que les contrats de remplacement de fin d’année, en mai et en juin — période où les étudiant.e.s sont hyper sollicité.e.s, leurs cours étant terminés —, sont plus durs. Elle constate qu’il s’agit de moments où des enseignant.e.s sont souvent en congé de maladie. «Et on ne peut pas vraiment les joindre. Alors on va voir avec les autres enseignants où ils en sont. Ça ajoute du travail aux autres enseignants, qui se retrouvent en soutien aux remplaçants.»
Parlant d’enseignant.e.s en congé de maladie, comment expliquerait-elle, à l’aune de son expérience, la pénurie de profs qui gangrène le système d’éducation en ce moment? «Je pense qu’ils sont fatigués, qu’ils manquent de ressources, qu’ils voudraient mieux outiller leurs élèves et eux-mêmes», répond-elle, mentionnant en outre un manque de reconnaissance.
Durant la pandémie, ils ont beaucoup fait, ajoute Héloïse, qui s’est frottée à l’enseignement virtuel. «J’ai enseigné dix jours derrière un écran et j’ai trouvé ça vraiment dur», conclut celle qui a récemment passé une semaine de formation consacrée aux réalités autochtones au cégep Kiuna, dans la communauté abénaquise d’Odanak, à l’initiative d’un professeur et d’étudiant.e.s de l’UQAM.
Quelques conditions d’un.e suppléant.e à Montréal
Salaire ($/heure) au secondaire: de 25,71 $ à 49,63 $
Salaire médian ($/heure) au secondaire: 38,46 $
Salaire ($/heure) au primaire: de 23 $ à 51,51 $
Salaire médian ($/heure) au primaire: 38,46 $
Syndicat: oui, l’Alliance des professeures et professeurs de Montréal, le Syndicat de l’enseignement de l’Ouest de Montréal et le Syndicat de l’enseignement de la Pointe-de-l’Île
Assurances collectives: non, à la base
Programme d’aide aux employé.e.s: les employé.e.s du Centre de services scolaire de Montréal ont droit à un certain nombre de consultations en lien avec des préoccupations concernant le travail, la santé ou la vie personnelle
Tempêtes de neige: les suppléant.e.s ayant une affectation dans une école devant fermer sont rémunéré.e.s
Tendances récentes d’emploi: «Les perspectives d’emploi ont été très favorables dans ce domaine au cours des dernières années (2019-2021). Il y a eu beaucoup plus de postes vacants que de travailleurs disponibles», peut-on lire sur le site du gouvernement du Canada.
Sources: gouvernement du Canada, Alliance des professeures et professeurs de Montréal et Centre de services scolaire de Montréal