Alors que la popularité des disques vinyles augmente année après année, un fascinant appareil oublié du grand public refait surface auprès des collectionneurs et des amateurs de musique, le Voice-O-Graph, une cabine que l’on retrouvait dans les fêtes foraines et les endroits publics dans les années 40. Si le Voice-O-Graph n’est plus la merveille technologique qu’il était, celui-ci n’a rien perdu de son charme, comme il a été possible de le constater cette semaine alors qu’un exemplaire était de passage à Montréal.
Le Voice-O-Graph est une boîte de la taille d’une cabine téléphonique. Pour 25 ou 35 sous à l’époque, quelqu’un pouvait enregistrer un petit disque d’à peine plus d’une minute, que ce soit pour conserver un souvenir de la voix de son enfant, pour réciter une lettre à son mari parti à la guerre ou même pour enregistrer un démo dans l’espoir de percer dans le domaine de la musique.
Le Voice-O-Graph s’est fait (re) connaître au cours des dernières en grande partie grâce au musicien Jack White, qui possède sa propre cabine dans son studio d’enregistrement Third Man Record à Nashville. Pour 15$, ceux qui passent dans la boutique de Jack White peuvent d’ailleurs y enregistrer leur propre disque.
Le musicien Neil Young a aussi contribué à la nouvelle popularité de l’appareil, lui qui a même récemment enregistré son album A Letter Home au complet dans le Voice-O-Graph de Third Man Record. Apple a aussi utilisé l’appareil pour sa publicité de Noël l’année dernière.
L’avocat en propriété intellectuelle Bill Bollman –un collectionneur de machines antiques du genre -, a aussi eu son rôle à jouer dans le retour de ces cabines, puisque c’est en grande partie grâce à lui que Jack White a découvert l’appareil.
« Jack White collectionne les machines à sous, et il avait besoin de cire pour faire fonctionner un de ses appareils. Quelqu’un nous a mis en contact, et je lui ai fait parvenir un sac de 50 livres de cire, mais aussi un petit disque enregistré avec un Voice-O-Graph, où je lui disais qu’il avait besoin d’une cabine du genre », se remémore Bill Bollman, qui était à Montréal cette semaine, alors que la compagnie de whisky Aberlour présentait son Voice-O-Graph récemment acquis et remis à neuf à une poignée d’amateurs de whisky et de musique au magasin Steve’s Music Store.
« Le lendemain, je recevais un appel de son équipe », ajoute Bill Bollman en riant.
L’histoire d’amour entre Bill Bollman et le Voice-O-Graph est elle-même assez particulière.
« Je collectionne les machines à boule, et lorsque j’ai reçu mon premier Voice-O-Graph il y a 15 ans, il était pratiquement en lambeaux. Je n’avais aucune idée de ce que c’était, et même une recherche Google ne donnait aucun résultat », se rappelle-t-il.
Depuis, il recherche constamment de nouveaux Voice-O-Graph, en plus de collectionner les disques originaux. « J’en ai plus d’un millier! », précise-t-il.
Restauration complexe
Depuis qu’il a appris leur existence, Bill Bollman s’est afféré à restaurer une poignée de Voice-O-Graph dans ses temps libres. « Je me suis surpris à lire des documents techniques des années trente et quarante pour comprendre les principes des enregistrements à l’époque », raconte l’avocat.
Selon ce dernier, chaque Voice-O-Graph restauré est meilleur que le précédent. « C’est très difficile d’obtenir un bon son avec ces vieux appareils. Mais je dois avouer que ce qui m’a beaucoup aidé a été d’entrer en contact avec les ingénieurs de son de Jack White », ajoute-t-il.
Pour ses plus récents Voice-O-Graph, dont celui qu’Aberlour a apporté à Montréal, Bill Bollman a notamment modifié le burin bon marché utilisé dans les machines à l’époque par un burin plus professionnel, utilisé par studios Columbia dans les années 50.
« J’ai aussi changé le système pour que les disques gravés soient en plastique plutôt que recouvert d’une résine », explique-t-il, ajoutant avoir essayé des dizaines de matériaux avant de trouver le bon. Les disques transparents qu’il utilise aujourd’hui dans ses Voice-O-Graph sont coupés pour lui au laser en Europe.
Notons que ses Voice-O-Graph enregistrent maintenant aussi en 45 tours, en non en 78 tours. Combiné aux nouvelles têtes, cela permet d’enregistrer des disques de plus de 3 minutes, en plus de faciliter leur écoute sur les tables tournantes modernes.
Bill Bollman restaure aussi évidemment tout l’intérieur et l’extérieur des cabines, en plus d’y mettre de nouveaux micros d’une meilleure qualité.
Trois minutes dans la cabine
Comment se sent-on dans un Voice-O-Graph pendant trois minutes? L’expérience est sans aucun doute particulière. Une sorte de mini voyage dans le temps, un moment intime où on fait dos au reste du monde et où on se sent seul avec nos paroles.
L’unicité d’obtenir un enregistrement de sa voix par la suite s’est évidemment perdue avec les décennies, surtout à une époque où tous les téléphones peuvent eux-mêmes servir de studios d’enregistrement bien plus complexes.
Mais le Voice-O-Graph continue de charmer, même si le résultat sonne souvent comme un vieux disque d’époque plus ou moins bien entretenu. Quelques minutes avant moi, Brad Barr des Barr Brothers y enregistrait d’ailleurs une nouvelle pièce acoustique, The Song I Heard, dont l’esprit était parfaitement capté par le vieil appareil.
Non, s’enregistrer n’est plus magique. Mais tout comme en 1946 lorsque ce Voice-O-Graph a été construit, le disque qui en sort en 2015 est encore un objet unique, que l’on pourra conserver pendant des années. Un objet qu’on peut envoyer à quelqu’un en guise de lettre, qu’on peut utiliser pour sauvegarder un souvenir vocal ou pour enregistrer une chanson.
La technologie évolue, mais le monde n’a pas tellement changé, dans le fond.