27 septembre 2019, au Musée des Hospitalières, à Montréal. Quelques heures avant le début de la marche pour le climat qui ralliera plusieurs centaines de milliers de personnes dans les rues de la métropole, différentes personnalités se réunissent en présence de la militante écologiste Greta Thunberg.
Si certains déclarent en guise d’introduction que l’événement se déroule sur un territoire autochtone non cédé, le chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, Ghislain Picard, amorce plutôt son allocution en soulignant que leur prise de parole a lieu sur le territoire de la Grande Paix de Montréal de 1701. Un traité dont on souligne le 322e anniversaire ce vendredi.
Bien que ce traité de paix ait été crucial pour la prospérité de la Nouvelle-France, mettant fin à plusieurs décennies de conflits qui opposent les Iroquois aux Français et à leurs alliés autochtones, et malgré les célébrations du 300e anniversaire en 2001, cet événement historique semble encore aujourd’hui méconnu du grand public.
Guerre et Paix
Pour Louise Pothier, conservatrice et archéologue en chef à Pointe-à-Callière – un musée qui a, depuis sa fondation, consacré beaucoup d’efforts à faire découvrir au public la Grande Paix de Montréal –, la méconnaissance de cet événement est due au fait qu’on s’intéresse généralement plus aux moments difficiles de notre histoire qu’à ceux liés à la paix.
Il y a des études à profusion qui se sont faites [sur les guerres], mais on dirait que les événements pacifiques attirent moins l’attention et l’intérêt des chercheurs.
Louise Pothier, conservatrice et archéologue en chef à Pointe-à-Callière
L’historien Éric Bédard constate pour sa part que « le grave et dramatique épisode » des pensionnats autochtones a dans les dernières années « occupé toute la place probablement parce que c’est un phénomène qui était encore mal connu, mal digéré et dont on n’avait pas mesuré l’ampleur ».
« C’est peut-être pour ça qu’un événement comme la Grande Paix de Montréal est un peu passé à la trappe, comme si dans les dernières années, on avait préféré insister sur des événements dramatiques et noirs, notamment les pensionnats, plutôt que sur les événements heureux qui peuvent nous rapprocher et nous rassembler. »
Louise Pothier soutient de son côté qu’en parallèle au processus de vérité et réconciliation « qui doit suivre son cours », il y a actuellement un « rapprochement entre les scientifiques et les communautés autochtones pour avoir des regards croisés » sur notre histoire.
Un rapprochement encouragé entre autres dans les préparatifs du 325e de la Grande Paix de Montréal, afin dit-elle, de donner une plus grande résonnance historique aux événements qui auront lieu lors de cette célébration.
« Ce n’est pas une histoire coloniale. C’est une histoire commune qu’on a avec les Autochtones, les Français, mais les Anglais aussi », soutient l’archéologue en chef.
Une prouesse diplomatique inspirante
Louise Pothier et Éric Bédard s’entendent pour dire que la Grande Paix de Montréal a été une prouesse diplomatique.
« Les Français ont compris que s’ils voulaient se maintenir sur place, ça passait par des alliances et non pas par des guerres », raconte l’archéologue en chef à Pointe-à-Callière.
Si on attribue généralement cette grande réussite aux habilités de négociateur du gouverneur Louis-Hector de Callière, ainsi qu’à l’intervention décisive du grand chef huron-wendat, Kondiaronk, Louise Pothier tient à souligner l’apport de la communauté de Kahnawake.
« Avant que les Nations [autochtones] arrivent à Montréal, elles se sont arrêtées à Kahnawake, à la mission du Sault Saint-Louis. Cela a été extrêmement important. Il y a eu une première mise en commun de leurs attentes avant d’arriver au village de Montréal. »
Pour l’avocat abénakis Alexis Wawanoloath qui coanime l’émission Kwé, Bonjour sur Canal M, la Grande Paix de Montréal a été possible, car « l’empire colonial français avait besoin de stabilité pour prospérer […] et qu’on a respecté les cérémonies et la façon de traiter des Premières Nations ».
Alexis Wawanoloath aimerait qu’on s’inspire de la Grande Paix de Montréal « pour aller au-delà du traité de la Baie James et essayer de voir dans quelle mesure on peut faire de nouveaux traités pour les territoires non cédés du Québec ».
Montréal, plaque tournante des Nations
Éric Bédard trouverait « rafraichissant » d’entendre un maire ou une mairesse de Montréal souligner la Grande Paix de Montréal au début d’une allocution. Cela permettrait selon lui de sortir « d’une forme d’impasse » causée par la notion de territoire non cédé.
« Répéter cette formule comme une incantation sans qu’il y ait de suite claire au plan politique, c’est pour se donner bonne conscience, mais ça ne mène à rien, cela fait juste créer des tensions », soutient l’historien.
Alors que si l’on disait que c’est ici qu’il a eu lieu une grande paix, une grande négociation, ce serait plus positif.
Éric Bédard, historien
Louise Pothier dit mentionner régulièrement que le musée de la Pointe-à-Callière se situe sur un territoire non cédé, « mais une fois qu’on a dit ça, on est rendu où? Ça veut dire quoi au juste? À qui l’on s’adresse? »
« C’est une reconnaissance, mais moi, ce que j’aime bien mentionner, c’est justement qu’on est sur le territoire de la Grande Paix où les nations se sont réunies dans un geste pacifique et d’ouverture à l’autre. »
Pour l’archéologue, Montréal est une plaque tournante des nations au fil des siècles, un carrefour millénaire d’échanges et de commerce, ajoute-t-elle, reprenant le slogan du musée de la Pointe-à-Callière lors de sa fondation en 1992.
« Tout le monde se retrouve là-dedans, soutient-elle. Il faut tirer davantage l’attention sur cet événement qui a joué un rôle majeur dans l’histoire de la Nouvelle-France au grand complet. »
Un événement historique qui peut rejoindre toutes les communautés, les néo-Québécois inclus.