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Faut-il célébrer les patriotes? 

Photo: Montage Métro

Quasiment chaque année, lorsqu’on souligne la Journée nationale des patriotes, des personnes remettent en question cette célébration, mentionnant que le parti de Louis-Joseph Papineau a retiré le droit de vote aux femmes en 1834. Mais que s’est-il passé exactement à l’époque? 

Pour mieux comprendre ce moment de notre histoire, Métro a interrogé l’historienne Denyse Baillargeon, autrice de l’essai Repenser la nation: l’histoire du suffrage féminin au Québec, ainsi que l’historien Éric Bédard, auteur de L’histoire du Québec pour les nuls

Un droit de vote limité 

S’il est vrai que le Parti canadien – aussi appelé Parti patriote – adopte un projet de loi en 1834 voulant interdire le droit de vote aux femmes, il faut savoir que ce n’est pas toute la gent féminine qui peut aller aux urnes à l’époque. En effet, le vote est réservé aux personnes – hommes ou femmes – de 21 ans et plus possédant ou louant une ou des propriétés d’une certaine valeur, un droit de propriété retiré aux femmes une fois mariées. 

«À l’époque, il faut rappeler que le droit de vote était aussi restreint pour les hommes, précise Denyse Baillargeon. Ce n’était pas le suffrage universel masculin.» 

Puisque ce droit de vote est déjà limité pour les femmes, pourquoi le Parti canadien a-t-il voulu l’abolir? 

Selon l’historienne, cette abolition s’inscrit dans la vision républicaine de l’époque. En encourageant/contraignant les femmes à rester à la maison pour s’occuper des enfants et tout le reste, cela garantit «que tous les hommes de manière égale puissent participer au débat public.» 

«Cela explique en partie pourquoi on a voulu exclure les femmes, soutient Denyse Baillargeon. Ce n’est pas parce que Papineau est un grand méchant.»   

Capitain Louis Joseph Papineau par Alfred Boisseau (vers 1871)
Photo: Gracieuseté, Bibliothèque et Archives Canada

Éric Bédard évoque de son côté la violence qui a parfois lieu aux bureaux de scrutin.  

«Pour empêcher les adversaires de voter, on embauchait parfois des fier-à-bras et il y avait de la violence aux alentours des bureaux de vote. L’idée était d’intimider les autres pour qu’ils n’aillent pas voter. Et donc l’argument de beaucoup d’hommes de l’époque, c’était que ce n’était pas une place pour les femmes.» 

Comme c’est la règle à l’époque, le projet de loi de 1834 est soumis à Londres, mais il est finalement rejeté par le gouvernement britannique. Non pas pour protéger le vote des femmes, précise Denyse Baillargeon, mais pour d’autres dispositions. 

Avec le rejet de Londres, les femmes propriétaires retrouvent donc le droit de vote, mais temporairement. Ce dernier est de nouveau aboli en 1849 par le gouvernement réformiste Baldwin/Lafontaine

Déclaration d’indépendance de 1838 

Si le suffrage universel pour les hommes n’est pas prévu dans la réforme de 1834, en revanche, il est inscrit dans la déclaration d’indépendance du Bas-Canada de février 1838 rédigée par les patriotes sous Robert Nelson. 

«Dans cette déclaration, l’article 16 dit que toutes personnes mâles au-dessus de l’âge de 21 ans auront le droit de voter», souligne Denyse Baillargeon. 

Cette déclaration contient plusieurs autres dispositions comme l’abolition de la peine de mort, ainsi que l’octroi de droits civils aux peuples autochtones

«On voulait intégrer clairement dans la communauté civique les Autochtones comme des citoyens au même titre que les autres, soutient Éric Bédard. On est très loin des réserves et des lois racistes de l’état fédéral de 1876 [la Loi sur les Indiens].» 

«C’est vrai que c’était une déclaration qui était progressiste à certains égards, admet Denyse Baillargeon. Mais, en ce qui concerne les femmes, il y avait très clairement une volonté de faire en sorte qu’elles restreignent leur rôle à celui de mère de famille et d’épouse.» 

Évidemment, puisque les rébellions de 1837-1838 sont violemment réprimées par les autorités coloniales, ces différents droits ne seront jamais instaurés. 

L’Assemblée des six comtés à Saint-Charles-sur-Richelieu, en 1837 par Charles Alexander (1891)
Photo: Wikipedia Commons

Célébrer une défaite? 

C’est le 19 mai 2003 que la Journée nationale des patriotes est officiellement célébrée pour la première fois au Québec. Malgré les critiques évoquées précédemment, Bernard Landry a-t-il bien fait de remplacer la fête de Dollard par cette journée? 

«J’ai un peu de mal avec les patriotes et ce n’est pas tellement parce qu’ils ont enlevé le droit de vote aux femmes. Avec cette journée, on commémore des défaites et je trouve ça très particulier», avoue Denyse Baillargeon. 

Si Éric Bédard considère quant à lui que cette journée n’est pas une mauvaise idée, il précise que les actions des patriotes en 1837 se passent l’automne, pas au printemps.  

«Ce n’est pas une date qui a du sens. La seule victoire des patriotes, c’est le 23 novembre 1837 [date de la Bataille de Saint-Denis].» 

Il aimerait donc qu’on incorpore cette commémoration des patriotes au jour du Souvenir qui a également lieu en novembre et qu’on souligne plutôt en mai la Grande Tabagie de 1603

«En mai 1603, Champlain et les Français vont sceller à Tadoussac une alliance avec les Autochtones de la vallée du Saint-Laurent, raconte Éric Bédard. Les anthropologues nous disent que cette alliance a été déterminante et a permis aux Français de fonder Québec en 1608, parce que les Autochtones les voyaient comme des alliés qui allaient leur permettre de combattre les Iroquois.»  

Ce grand événement montre, selon l’historien, que la France souhaite à l’époque s’entendre avec les Premières Nations, une approche différente des colonisations espagnoles ou britanniques en Amérique. 

«L’histoire du Québec, elle commence par une fête, pas par un massacre.»  

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