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The Armstrong Lie: Vérités et conséquences

Photo: Metropole films

Il a signé des documentaires sur l’ancien dur à cuir du Canadien Chris Nilan, sur le célèbre journaliste gonzo Hunter S. Thompson, sur le concepteur de WikiLeaks, Julian Assange… Gagnant d’un Oscar pour Taxi to the Dark Side, Alex Gibney se dit fasciné par les personnalités extrêmes. Mais, pour le citer, «ne le sommes-nous pas tous?» Après un chemin rendu cahoteux par les évènements que l’on sait, le réalisateur new-yorkais présente enfin The Armstrong Lie, un film qui, bien plus que de cyclisme et de dopage, parle du mensonge et de ses conséquences.

En 2010, Alex Gibney bouclait The Road Back, un documentaire sur Lance Armstrong qui s’intéressait au grand retour du cycliste, en 2009, au Tour de France. Tour de France qu’il avait déjà remporté sept fois, de 1999 à 2005, et auquel il revenait après quelques années d’absence. Les images étaient prêtes, la voix de Matt Damon, qui assurait la narration, était mixée. Et puis… et puis voilà.

L’ex-idole du vélo, le héros résistant, le symbole de la lutte contre le cancer, s’est révélé, officiellement, être un menteur, un tricheur, un manipulateur… Alex Gibney a donc mis son film sur pause. Puis, quelques années plus tard, il est retourné voir son sujet : «Je pense que tu me dois une explication.» Armstrong a répondu, étonnamment peut-être : «En effet.»

En janvier dernier, le cycliste déchu a commencé par accorder une entrevue très médiatisée à Oprah. Mais malgré ses aveux – «Avez-vous déjà pris des substances illégales pour améliorer vos performances sportives?» «Oui.» «Est-ce qu’une de ces substances était de l’EPO?» «Oui.» –, il n’a pas réussi à redorer son image, passant pour un être froid, mesquin et nullement repentant aux yeux des téléspectateurs.

Quelques heures après le fatidique face-à-face, Armstrong s’est rassis à nouveau pour une seconde série de confessions, cette fois devant la caméra d’Alex Gibney. OK, ça tourne, allons-y.

C’est ainsi que The Road Back est devenu The Armstrong Lie. Un film narré par Gibney qui s’est avéré, pour le documentariste lui-même, une seconde chance. Une chance de se rattraper pour son premier film qui ne paraîtra jamais, une chance de s’excuser d’avoir cru, comme tant d’autres, à la mascarade du cycliste texan. «J’ai été floué par ses menteries. Je l’avoue. Pardon», semble-t-il dire ici.

Dans le film, le réalisateur l’avoue d’ailleurs : pendant une étape spécifique du Tour de 2009, il a momentanément été transporté par l’enthousiasme contagieux, par l’ambiance festive, par ce héros presque romanesque qui revenait pour vaincre. Pendant quelques instants, «le cinéaste a laissé la place au fan». Est-ce que l’expérience a appris quelque chose à Alex Gibney sur les dangers de devenir un partisan de son sujet? «Je crois que le danger existe, oui, mais en même temps, je trouve que c’est une part importante et naturelle du processus. Si on ne ressent jamais d’enthousiasme, si on prend tout avec détachement et distance, eh bien, il y a un risque de devenir trop méprisant et de passer à côté de beaucoup de choses. En même temps, ce genre d’implication passionnée finit par nous rendre vulnérables et sujets à nous faire avoir.»

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C’est pourquoi Gibney croit qu’il faut toujours appliquer un point de vue rigoureux, mais aussi faire preuve d’émerveillement. Lui-même, pendant ce projet, l’a été à quelques reprises, émerveillé. En effet, même si ce (double) tournage a été comparable, pour le cinéaste, à «l’ascension du fuckin’ mont Ventoux» – pour citer Armstrong – il avoue avoir quand même vécu des moments magiques. Parmi eux : les instants passés au Tour de 2009, auquel son équipe et lui ont obtenu un accès privilégié. Grâce à ça, Gibney est parvenu à capter une série d’images qui mettent de l’avant tout le folklore et toute la folie qui caractérisent la Grande Boucle. Les costumes rigolos, les perruques délirantes, les messages d’amour, les hurlements, les cloches, tous ces types en g-string, soûlés de soleil et abrutis d’alcool, qui courent le long de la route… Et puis, au milieu de ce joyeux bordel, Armstrong-la-machine qui pédale, le regard rivé sur l’horizon, sur la première place. Le clash est total. «Contrairement à d’autres, Lance n’avait pas cette attitude fofolle, insouciante, devil-may-care, comme on dit, souligne Gibney. Il avait une approche beaucoup plus militaire. Il se voyait comme un escadron déterminé à piétiner le paysage.» Dans une scène, on voit d’ailleurs l’athlète lancer crûment au téléphone : «Je dé-tes-te les Français!» «Je crois qu’il était très fier de cela, remarque le cinéaste. Fier à l’idée de débarquer en sol étranger et de clencher tout le monde sur son passage.»

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L’énigme de l’athlète, le puzzle de cette affaire, se compose de maintes pièces. Ainsi, le film s’intéresse aussi au rôle que les médias ont joué dans le cas Armstrong et montre à quel point ce dernier s’est joué de certains d’entre eux. Il rappelle ces voix qui se sont élevées pour dénoncer la gigantesque tromperie, dont celle de L’Équipe, qui a publié Le mensonge Armstrong, un article dénonciateur ayant aussi donné son titre au film… Mais s’il y a eu des détracteurs qui ont vu clair dans son jeu, il y a eu aussi des gens qui ont offert leur soutien indéfectible au cycliste. Ceux-là, Armstrong les surnomme avec condescendance ses «cheerleaders». «Le mensonge se cachait au grand jour et une des raisons pour lesquelles il a pu le faire, c’est que certains médias – et je m’inclurai dans ce groupe! –, ont préféré le beau mensonge à l’horrible vérité. Mais l’histoire de Lance semblait être une histoire si importante, si inspirante, que j’ai l’impression que beaucoup d’entre nous ont perdu tout sens critique…»

Le réveil a été brutal pour plusieurs, ainsi que le démontre l’épopée vécue par le réalisateur. Une épopée jalonnée, comme dans tous ses films, de scènes subtilement évocatrices. À la toute fin, par exemple, on voit le héros déchu pédaler seul, avalé par un paysage grandiose, tandis que souffle un vent lointain, quasi fantomatique. Puis, pendant un bref instant, des applaudissements et des cris de partisans jaillissent pour s’éteindre aussitôt, doucement, comme le souvenir d’une gloire passée. «Le son à la fin était très important pour moi, dit le réalisateur. Ces applaudissements, ce sont ceux qu’on entend dans les évènements sportifs, oui, mais aussi dans un spectacle…» Car, rappelle-t-il, son protagoniste n’est pas qu’un athlète qui a dû dire au revoir au sport qui lui a donné un nom, mais aussi une superstar qui ne connaîtra plus la célébrité.

À la lumière de tout cela, pourrait-on conclure que Lance Armstrong a été le plus grand conteur de son époque (désolée, Fred Pellerin)? «Assurément! répond Gibney. Du moins, en ce qui concerne son histoire à lui. Je ne crois pas qu’il était intéressé à en raconter d’autres! Mais quand il parlait de lui, de son mythe, il était extraordinaire! Il était brillant dans sa façon de modeler, de cultiver et de brutalement défendre sa propre légende… Ah! Pour ça, c’était le meilleur!»

Armstrong Lie 2 crédit Maryse Alberti:Sony
Quand le sujet dérape
En 2012, Alex Gibney signait Mea Maxima Culpa: Silence in the House of God, un documentaire qui lui a valu trois prix Emmy. Il y explorait l’affaire des prêtres pédophiles qui ont abusé d’enfants sourds, remontant aux sources de l’atrocité et se rendant jusqu’aux plus hautes instances du Vatican. De la même façon que ce film-choc se voulait une enquête sur le crime bien plus que sur la religion, The Armstrong Lie est une œuvre qui aborde de multiples sujets, dont le pouvoir – comme on l’entend dire à quelques reprises durant le long métrage –, le mensonge et ce que ça signifie, être un documentariste.

Alex GibneySous certains aspects, la dernière offrande de Gibney rappelle le documentaire My Kid Could Paint That. Vous vous souvenez, ce film réalisé par Amir Bar-Lev dans lequel on suivait une fillette de 4 ans qui peignait des toiles se vendant pour des centaines de milliers de dollars et ayant été comparées par certains grands critiques à celles… de Picasso? Le film commençait par dresser un portrait de cette petite prodige, avant de devoir effectuer un tour à 180 degrés lorsque le père de l’enfant avait été accusé, en plein milieu du tournage, de signer les toiles à la place de sa fille. Oups. On pense aussi à The Queen of Versailles, de Lauren Greenfield, portrait d’un couple richissime qui se faisait construire la plus grande demeure en Amérique du Nord. La réalisatrice filmait la chose avec une ironie distante jusqu’à ce que la crise de 2008 frappe, que la fortune s’évapore et que l’histoire devienne celle de milliardaires déchus et du rêve américain parti en fumée. Comme dirait Gibney : «C’est ça, la magie du documentaire!»

N.B. Mea Maxima Culpa est disponible sur Netflix.

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The Armstrong Lie
En salle ce vendredi

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