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Gran Pajonal: une région amazonienne en danger

Photo: David Riendeau

Auparavant, la région du Gran Pajonal était un vaste plateau recouvert d’une jungle impénétrable, habité des seules communautés autochtones. Deux ans après l’ouverture d’une route forestière, l’étau se resserre sur la forêt.

Pas plus tard que l’an dernier, une faune diversifiée habitait le boisé qui ceinturait la plantation de café de la famille Gill, dans la région du Gran Pajonal. Des perroquets verts volaient au-dessus des arbres et des chauves-souris et des sangliers sauvages peuplaient les grottes, tous attirés par l’abondance de sources d’eau cristalline qui jaillissaient de la roche.

Aujourd’hui, la forêt s’est tue. Seule la voix de Renato Gill s’élève pour rompre le silence. «Plus de sources d’eau, et plus de sangliers, de chauves-souris ou d’oiseaux. Il n’y a même plus de grillons, ironise-t-il. Nos nouveaux voisins n’ont pas laissé un seul arbre sur leur plantation et voilà le sale résultat.»

Le Gran Pajonal, un plateau de collines à l’ouest de la rivière Tambo, constitue l’un des derniers territoires sauvages de la région de Junin. Plusieurs dizaines de villages appartenant au peuple ashéninka y pratiquent leur mode de vie ancestral tout en s’adonnant à la culture du café et du cacao.

L’ouverture, en 2010, de la route 5SA pour permettre le passage des compagnies forestières a accéléré de façon importante l’établissement de colons et répandu les ravages des mauvaises pratiques agricoles.

Aux quatre points cardinaux, des fronts pionniers se sont ouverts. Les colons s’installent dans les clairières ouvertes par le passage de la machinerie lourde. Ces paysans, tantôt par faute de connaissance technique, tantôt par négligence, pratiquent la méthode du brûlis avant d’ensemencer une terre qui demeure fertile cinq à sept ans dans le meilleur des cas.

Partout dans la région, le même scénario s’est répété au gré des mouvements migratoires. Dans la seule province de Satipo – où se trouve une partie du Gran Pajonal –, la population a bondi de 32 % en deux ans seulement. «La pression démographique est très forte dans la région, et cela se ressent sur les écosystèmes, car les nouveaux arrivants sont avant tout des cultivateurs, explique José Rios, directeur de la forêt de Pui Pui, une réserve naturelle. Les cultures de l’ananas, des agrumes et du gingembre pratiquées ici appauvrissement et assèchent rapidement les sols. Ce qui est détruit en 5 ans en met 50 à récupérer.»

«Le rapport de force n’est pas équilibré entre les forestières et les communautés autochtones, qui ont droit de coupe sur leur territoire, résume José Rios. Les communautés vivent dans la misère. Elles ne sont pas outillées pour mesurer correctement le volume de bois et la superficie de leur territoire. Les compagnies n’hésitent pas à les flouer, sans compter que les négociations se déroulent entre le chef du village et les représentants.»

Le coordinateur de l’Association régionale des peuples indigènes (ARPI), Hector Santos, croit que «les pressions sont très fortes pour que les autochtones vendent leur forêt aux compagnies parce qu’ils sont nécessiteux. Ils éprouvent de grands besoins en matière d’éducation et de santé, alors ils vendent au plus offrant. Avec le temps, plusieurs se rendent comptent que les forestières les trompent et qu’il vaut mieux conserver la forêt que la couper.»

À ce phénomène s’ajoutent ceux des coupes illégales et de la corruption. «Les entreprises forestières obtiennent un permis légal de coupe pour un territoire donné, mais s’en servent pour extraire la ressource ailleurs, explique José Rios. Le bois est alors blanchi. Si un camion de bois illégal part d’ici pour se rendre à Lima, son chauffeur a environ 2 800 $ dans les poches pour arroser les différents fonctionnaires des contrôles.»

Payer pour protéger
Pour limiter l’effet des changements climatiques et la dépendance des autochtones aux revenus forestiers, le gouvernement péruvien a lancé en 2011 le programme Conservación de bosques (Conservation de forêts).

Pour chaque hectare de jungle protégé, l’État verse quatre dollars à la communauté qui a la responsabilité de gérer les fonds. «Bien entendu, quatre dollars par hectare protégé, c’est peu, reconnaît Hector Santos Lucas. Le changement se fait surtout ressentir dans les communautés qui possèdent de grands territoires. Certains réussissent à dégager un bon revenu. Ce programme représente un pas en avant vers notre autonomie puisque les communautés gèrent les fonds.»

Durant l’année 2012, 17 villages autochtones des régions Junin et Amazonas ont signé des ententes de conservation pour un total de 232 000 hectares protégés.

En 2013, le gouvernement espère étendre le programme à une quarantaine de communautés et ainsi protéger 500 000 hectares de territoire forestier.

Série Amazonie
À lire cette semaine :

  • Mercredi. L’invasion de terres n’est pas un phénomène récent. Ce qui pouvait être perçu comme un geste de survie s’avère plutôt être un lucratif commerce.
  • Jeudi. Près du tiers de la production de cocaïne du Pérou provient de la Vallée des rivières Apurimac, Ene et Mantaro, où un conflit entre l’armée et les narcotrafiquants s’enlise.
  • Vendredi. Au cœur de l’Amazonie péruvienne, une poignée de professeurs luttent pour la survie culturelle de leur peuple.

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