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Est-ce qu’on care assez?

Une action collective vient d'être autorisée contre des CHSLD du Québec pour le mauvais traitement allégué des personnes qui y résident. Photo: Chantal Lévesque/Métro

Depuis que je sais que dans les CHSLD, certains bénéficiaires ne reçoivent qu’un bain par semaine, j’ai décidé d’aller visiter grand-maman une fois par semaine, pour m’assurer qu’on s’occupe bien d’elle. C’est pas beaucoup, mais ça aide à mieux comprendre comment on en vient à ne donner qu’un bain par semaine à une patiente atteinte d’Alzheimer qui ne comprend pas vraiment ce qui lui arrive quand une inconnue lui passe une débarbouillette entre les fesses. Une visite par semaine, ça m’a aussi permis d’entamer une réflexion sur le «care».

En études féministes, le concept de «care» réfère au fait que le plus souvent, dans une société, les soins donnés aux enfants, aux personnes âgées ou à celles en perte d’autonomie sont fournis par des femmes, comme si c’était naturel. Au CHSLD de grand-maman, j’ai découvert la version très concrète de cette réalité.

Au cours des dernières décennies, au Québec, nous avons mis en place des structures comme les CPE et les CHSLD pour que les soins soient pris en charge par l’ensemble de la société, de manière à ce que les femmes à qui incombaient habituellement ces tâches puissent jouir d’une plus grande autonomie. On remarque toutefois que les personnes qui travaillent dans ces structures sont, le plus souvent, des femmes. Et on reconnaît de plus en plus que les femmes qui, à l’intérieur de ces structures, font les plus sales boulots et les moins bien rémunérés sont généralement des femmes racisées ou issues de l’immigration. Autrement dit, même au sein d’un système créé pour mieux répartir le fardeau des soins, les rapports de domination se reproduisent.

Ainsi, les personnes les plus privilégiées s’appuient sur le travail de femmes souvent issues de classes plus modestes pour vaquer à leurs activités. Sans vouloir rien enlever aux sacrifices qu’a faits ma mère pour obtenir la qualité de vie dont elle jouit aujourd’hui, force est d’admettre que sans le CHSLD, elle n’aurait pas le luxe de passer ses hivers en Floride. Elle et son frère devraient s’occuper de grand-maman.

Cette semaine, quand je suis allée voir grand-maman, j’ai remarqué que ses ongles étaient dus. J’en ai parlé à une des préposées qui s’occupent d’elle, une femme immigrante dont je sais peu de chose, mais qui connaît mieux que moi les préférences alimentaires de grand-maman. Elle m’a dit qu’elle essaierait d’y voir, mais qu’elle n’aurait peut-être pas le temps. Elle doit s’occuper de huit personnes, pour un salaire qui ne vaut pas trois changements de couches. «Nous, les immigrantes, on nous fait faire les tâches les plus sales, on nous traite comme du bétail. C’est comme ça parce qu’on est plus maternelles (ses mots)», m’a-t-elle déballé, peut-être sans savoir que ces a priori sont au cœur des critiques féministes de l’heure.

J’ai fermé ma gueule de privilégiée et je suis allée couper moi-même les ongles de grand-maman. Je venais d’avoir une démonstration concrète des bénéfices qu’on tire collectivement du travail de «care», en remettant rarement en question le fait que ce travail soit nécessaire à la réussite des PDG, bibliothécaires, ministres et autres journalistes.

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