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Demain, l’été

Jeudi 20 juin 1968. À l’école, tout le monde a apporté sa chaudière et sa guenille pour la grande corvée de lavage de pupitres. Demain, ça sera le début de mes premières vraies vacances. Désirant bien faire, ma mère m’a habillé exactement comme au premier jour de l’année, c’est-à-dire en p’tit monsieur, avec une chemise blanche et des pantalons de laine gris. Dans la classe, y fait chaud que l’yâbe et ça sent l’Ajax en poudre à plein nez. À 14h précises, une heure plus tôt que d’habitude, la cloche retentit et une clameur s’élève: bye-bye, tout le monde dehors, on se reverra au mois de septembre. Quand je dis tout le monde, c’est vraiment tout le monde. Même Denis Gagné ne restera pas en retenue aujourd’hui. Ça sera la première et la seule fois de l’année.

Demain, les vacances commencent et franchement, je me demande ce que je vais en faire. Bien sûr qu’une visite à La Ronde figure au top de ma liste. Fatalement, toutefois, je sais trop bien qu’on se ramassera encore une fois au Parc Belmont. Ça coûte moins cher et ma mère dit que ça fait pareil. Bien sûr que La Roulotte va faire un arrêt au parc Bellerive, mais ça, ça ne sera pas avant la mi-août. À part ça, y a pas grand-chose à faire en ville. Nous sommes en 1968, ne l’oublions pas. À Montréal, le mot «festival» ne fait pas partie du langage courant, les Expos ne débarqueront pas au parc Jarry avant l’été suivant et les piscines publiques sont des baignoires pleines de crachats. Ça aussi, c’est une autre vision implacable de ma mère… Le temps restera donc chaud et collant.

Les Dupré partiront au chalet, les Boily iront en camping à Haut-Gong-Quick et à Cake-Cod (!) et pendant deux longs mois, Christian refusera systématiquement de me prêter son nouveau bicycle à deux roues. Lui qui pourtant jusque-là se servait allègrement du mien sans même me demander la permission. J’aurais dû m’en douter: la devise qu’appliquait Christian était toujours «un pour tous, tous pour moi».

Demain, c’est l’été et on espère que le ciel va nous envoyer un oiseau mal en point afin de perfectionner nos talents de vétérinaire. En attendant, on se contentera d’écraser des fourmis sur le bord du trottoir pour salir nos running shoes neufs et bien trop blancs. On va aussi virer des brosses mémorables au Dr. Pepper en utilisant un habile subterfuge pour repérer les bouteilles gratuites. Je peux maintenant vous donner le truc puisque le concours est terminé: suffit de regarder sous la capsule pour voir s’il est écrit FREE-GRATUIT.

Demain à la télé, je vais regarder Les cadets de la forêt en plein après-midi. Et moi aussi, je rêverai d’un monde où les enfants peuvent habiter dans un château fort tout en bois sans le moindre adulte pour leur dire quoi faire. Je vais apprendre par cœur le code XNY-5-5-6 et je parlerai dans un faux walkie-talkie fait avec un bout de madrier. Ça aussi, on m’a convaincu que ça pouvait faire pareil…

Demain, c’est l’été et je pense que finalement, je vais être pris pour m’organiser pas mal tout seul pour me faire du fun.

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Vu: le spectacle de Daniel Bélanger aux Francos, sur la grande place des Festivals. Un moment de grâce, rien de moins. Qui a dit qu’il fallait faire des concessions artistiques quand on se produisait sur une scène extérieure? Sûrement pas lui.

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C’est le week-end prochain qu’aura lieu un autre grand spectacle de la Fête nationale sur la même place des Festivals. Rien à redire sur la sélection des artistes que vous verrez sur scène ce soir-là, tout ce beau et bon monde a dûment acquis depuis longtemps son statut d’invité digne des grands événements du genre. Sauf que… ne serait-il pas temps de remettre en question la formule de la belle brochette qui va nous proposer une enfilade de duos «inédits» et de numéros «hommage à …» pour faire le party? À force de brasser la même recette en utilisant les mêmes ingrédients qu’on versera dans le même moule, c’est assez facile de prévoir que tout finira par goûter sensiblement la même chose année après année…

De là la question à 100 piasses: serions-nous prêts à confier le grand spectacle de la Fête nationale à un seul artiste? Moi, je crois que oui. En tout cas, c’est la réflexion que je me suis faite en revenant du spectacle de Bélanger l’autre soir…

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Mine de rien, vous venez de lire ma 600e chronique dans Métro. De toute ma vie de pigiste, vous aurez été ma relation la plus durable. Sachez que je l’apprécie infiniment. XX

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