CHRONIQUE – Il y a longtemps que le débat public n’avait pas été autant occupé, sans mauvais jeu de mots, par les revendications manifestes d’un regroupement quelconque. En fait, mis à part celles des Wet’suwet’en, interrompues pour causes pandémiques, on doit potentiellement reculer au printemps 2012 afin de se rappeler semblable résonance médiatique.
Or, s’arrête ici le jeu, même approximatif, des comparaisons. Magistraux, les points de divergence interdisent, à vrai dire, toute analogie sérieuse.
Parce qu’il ne s’agit plus ici de manifestations, mais bien d’occupation illégale: paralyser une capitale nationale à grands coups de 18 roues, empêcher la circulation citoyenne et commerciale, klaxons, feux traditionnels et d’artifice, blocage d’un pont et d’un aéroport, chaîne d’enfants. Depuis bientôt… trois semaines.
Parce que ladite occupation s’est effectuée, ironiquement, tout en douceur, c’est-à-dire avec la gênante complicité de corps policiers, lesquels refusaient, encore dernièrement, de refiler quelconque contravention, s’affairant plutôt à poser avec les camionneurs au bénéfice des médias sociaux, danses TikTok en prime. Un hasard, le fait que plusieurs ex-agents de la GRC et militaires soient des organisateurs de l’opération?
Parce qu’au rang des coarchitectes s’ajoutent également quelques infréquentables stratosphériques. À la tête, entre autres, d’une extrême droite en ayant appelé publiquement à l’assassinat de Justin Trudeau lors de la dernière campagne électorale, et qui a remis le coup récemment: l’issue de la présente manœuvre devrait se régler, dixit l’un des organisateurs, «à coup de balles».
Parce que les drapeaux nazis ou confédérés, symboles de l’esclavagisme par excellence, étaient fièrement arborés au moins lors des premiers jours des festivités. Idem pour les pancartes transphobes et homophobes. Ou celles comparant Trudeau au Fürher, ou encore assurant l’analogie entre le passeport sanitaire et les atrocités de la Shoah. Si les flics avaient été intéressés à faire leur job, ils auraient ainsi pu rappeler aux haineux l’existence de l’article 319 du Code criminel:
Quiconque, par la communication de déclarations en un endroit public, incite à la haine contre un groupe identifiable, lorsqu’une telle incitation est susceptible d’entraîner une violation de la paix, est coupable […].
Quiconque, par la communication de déclarations autrement que dans une conversation privée, fomente volontairement la haine contre un groupe identifiable est coupable […].
Parce que le transfert des fonds récoltés par GoFundMe a été, pour la très majeure partie, refusé par la plateforme de sociofinancement, le tout après une enquête approfondie de plusieurs jours. La raison du refus? La provenance et la destination des fonds en question, rattachés directement ou indirectement à l’extrême droite canadienne, certes, mais aussi américaine. Hello, ProudBoys.
Parce que le contenu des revendications, finalement, se résume à retirer l’ensemble des mesures sanitaires à un moment encore charnière, où nos systèmes de santé tiennent le coup de peine et de misère, où le délestage devient pratiquement davantage norme qu’exception. Beau projet de société, pas de doute, surtout lorsque l’on considère qu’avec 116 pays aux couvertures vaccinales insuffisantes, un prochain variant pourrait fort bien se manifester, avant longtemps.
Aucune comparaison possible, donc, entre les deux mouvements. Tant sur le fond que la forme. Est-ce à excuser les débordements, même si légers, du Printemps érable? Non, bien entendu. Reste qu’il est loisible de s’interroger sur ceci: si GND et sa bande avaient pris d’assaut, en permanence, institutions ou infrastructures de la même manière que les apôtres de la liberté, combien de temps avant l’adoption d’un état d’urgence, selon vous? Comme le disait Noël Mamère: la propagande ne se pose pas de questions morales.