La rapporteuse spéciale de l’ONU pour le logement, Leilani Farha, estime que la Ville de Montréal est sur la bonne voie en matière de logement social, mais qu’elle peut encore faire plus pour l’habitation de manière générale. S’il est un bon début pour s’attaquer à la crise, le règlement «20-20-20» devrait faire l’objet d’améliorations avec le temps, selon elle.
«C’est un premier pas très important pour Montréal, mais quand ce sera implanté et que les promoteurs commenceront à voir les impacts, l’administration pourra envisager de prendre des mesures supplémentaires», explique-t-elle en entrevue à Métro.
Le Règlement pour une métropole mixte, de son nom, est actuellement soumis à une consultation publique. Il comprend, entre autres, l’obligation d’inclure 20% de logements sociaux, 20% de logements abordables et 20% de logements familiaux dans les grands projets résidentiels, avec une certaine modulation de ces seuils selon les secteurs.
«C’est une position courageuse qui doit être applaudie, mais ce n’est pas la seule solution. C’est seulement l’une des stratégies, illustre Mme Farha. Si c’est la seule, nous avons un problème.»
«Tous les gouvernements doivent faire plus pour lutter contre la spéculation. Ce sont eux qui ont laissé la crise prendre de l’ampleur.» -Leilani Farha, rapporteuse spéciale de l’ONU pour le logement
Des seuils basés sur un consensus?
Mme Farha assure qu’elle appuie la démarche de Projet Montréal. Mais elle comprend aussi le fait que les organismes craignent que les seuils de 20% ne reflètent pas les besoins.
«Plusieurs villes dans le monde utilisent ces seuils-là pour quantifier le nombre de nouveaux bâtiments abordables qui devraient être construits. Moi, ce qui m’inquiète, c’est que ce soit partout pareil. Les conditions à Londres, à Dublin ou à Buenos Aires ne sont sûrement pas les mêmes [qu’à Montréal]», considère-t-elle.
Celle qui est aussi directrice de l’organisme Canada sans pauvreté se dit préoccupée par la formation d’un consensus pouvant servir des intérêts d’abord et avant tout privés.
«Le risque, c’est que ce nombre soit établi parce qu’il est la limite acceptable pour les promoteurs. Ça serait une très mauvaise nouvelle. Le logement ne peut se baser sur ce que le marché veut», renchérit-elle.
40% de logements sociaux?
Appelée à réagir, la porte-parole au Front d’action en réaménagement urbain (FRAPRU), Véronique Laflamme, déplore que les objectifs du règlement soient tout simplement «insuffisants» à l’heure actuelle.
«Si on regarde les besoins à Montréal, on constate assez facilement que 20% de logements sociaux, ce n’est pas assez, surtout quand on sait qu’environ 36,5% des ménages consacrent plus du tiers de leurs revenus au loyer. Dans Ville-Marie, la situation est encore plus préoccupante; ce chiffre atteint environ 40%.» -Véronique Laflamme, porte-parole au FRAPRU
L’objectif de la Ville devrait justement être d’imposer aux promoteurs 40% de logements sociaux dans leurs grands projets, soutient le FRAPRU.
«Sinon, on va clairement contribuer à gentrifier certains secteurs, en y attirant majoritairement une population plus aisée que celle qui y habite déjà, observe Mme Laflamme. C’est pour ça qu’on dit que les règlements d’inclusion doivent être basés sur les besoins du milieu d’abord.»
Leilani Farha et les droits humains
Pour l’experte de l’ONU, la Ville de Montréal doit se servir davantage de la notion de «respect des droits humains» pour obtenir du financement gouvernemental en matière de logement abordable.
«Moi, j’irais voir les paliers de gouvernement pour leur dire que s’ils n’assurent pas un niveau adéquat de ressources, ils violeront la loi sur les droits humains internationaux. Partout dans le monde, cela mettrait le statut diplomatique du Québec et du Canada en danger.»
L’experte conseille à la Ville de demander au gouvernement Trudeau «ce que signifie sa nouvelle Politique nationale sur le logement, en termes d’actions concrètes».