Un homme noir d’une trentaine d’années estime avoir été victime de profilage racial, après que des policiers se soient présentés chez lui au milieu de la nuit pour une question de paiement défectueux par carte de crédit. Il a porté plainte contre deux policiers du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).
Au téléphone, Bakary* (prénom fictif) ne décolère pas.
«Torches aveuglantes, vacarme de nuit, réveil du voisinage», voici comment il décrit l’intervention nocturne de deux policiers du SPVM à son domicile à 1h du matin, un jour de semaine, à la fin du mois d’août.
50$ d’essence
Ce matin-là, l’homme en question – qui a demandé l’anonymat en attendant le traitement de sa plainte – s’est rendu à une station Pétro Canada de Saint-Mathieu-de-Beloeil. Sa carte de crédit n’a pas fonctionné, mais il ne s’en est pas rendu compte et a quand même pu faire le plein.
Le soir, de retour du travail comme analyste d’affaires et exténué par le trafic, Bakary ne s’inquiète pas de voir un seul appel en absence sur son téléphone, d’autant qu’aucun message n’a été laissé et que le numéro est masqué, selon son témoignage. Il part se coucher, le climatiseur bruyant allumé.
Le lendemain à son réveil, son propriétaire (qui habite le même immeuble) vient lui raconter les événements: deux policiers ont pénétré bruyamment dans la cour commune à sa recherche, à 1 heure du matin. Bakary dormait alors dur comme fer, et n’a rien entendu malgré plusieurs appels en absence entre 1h et 1h30 du matin.
«Un simple appel [de vérification] aurait suffit. J’aurais pu les rappeler le lendemain et leur expliquer. Et si l’intervention avait mal tourné? C’est exactement comme ça qu’ils ont tué Breonna Taylor», dit-il, faisant référence à cette Afro-américaine de 26 ans, tuée par balle par des agents de la police de Louisville dans le Kentucky en mars dernier.
«J’aurais pu perdre la vie pour peut être 50 $ d’essence» – Bakary
Pourquoi 1h du matin?
Bakary se demande si son nom et la couleur de sa peau ont eu une incidence sur la décision de cogner chez lui aux petites heures du matin.
«À partir de quel moment a-t-on le droit de venir chez les gens, armés, à 1h du matin?, se demande le Montréalais encore sous le choc. Depuis quand la police est-elle la milice de Petro Canada? Que deviennent mes droits fondamentaux? Pour le Noir que je suis, au nom à consonance africaine, ce sont des questions que je me pose.»
Il a porté plainte devant le Comité de déontologie policière plus tard dans cette même journée.
À tel point traumatisé, et «humilié» devant son propriétaire, dit-il, l’homme ne dormait plus chez lui au moment de faire l’entrevue.
Une question de profilage racial?
Maintenant ce que souhaite Bakary, c’est comprendre la chaîne de décisions qui a mené à cette intervention de la brigade de Rosemont.
«Je veux leur explication, dit-il. Ils sont tombés sur le mauvais Noir. Je veux que ça serve d’exemple. Je veux savoir à partir de quelles suspicions, un policier a le droit de faire une intervention comme celle-ci.»
Pour Alain Babineau, qui travaille pour le Centre de recherche-action sur les relations raciales à Montréal à titre de conseiller sur les questions de profilage racial et de discrimination, les deux policiers disposaient d’un «paquet d’autres alternatives», à commencer par celle de lui parler de vive voix au téléphone.
Est-ce du profilage racial? «C’est une question que l’on doit se poser. Dans le contexte, la réponse des policiers paraît exagérée. N’y avait-il pas une approche plus raisonnable et diplomate à privilégier?», répond celui qui a également fait partie de la Gendarmerie royale du Canada pendant 28 ans.
Babineau s’inquiète également que les choses aient pu mal tourner. Selon lui, ce genre d’événement ne fait qu’entamer la confiance de la communauté racisée envers les policiers.
Interrogé sur la chaîne de décisions ayant mené à cette intervention et sur l’accusation de profilage racial, le SPVM a indiqué qu’il ne ferait aucun commentaire, le cas en question faisant l’objet d’une plainte en déontologie.
Contactée à deux reprises par Métro, la station-service en question n’a pas répondu à notre demande d’entrevue.
(*) Bakary est un prénom fictif. À sa demande, nous avons choisi de préserver son anonymat.