De nombreux organismes montréalais ont uni leurs voix lundi soir pour s’opposer au couvre-feu mis en place samedi dernier, qui selon eux aura peu d’impacts sur la lutte contre la pandémie tout en affectant de façon disproportionnée les itinérants et d’autres personnes vulnérables.
Les représentants de plus d’une dizaine de groupes communautaires se sont réunis à 18h30 à une extrémité la Place Émilie-Gamelin, un espace vert du centre-ville en face duquel se trouve l’Hôtel Place Dupuis, que la Ville de Montréal a transformé cet hiver en un refuge d’urgence pouvant héberger environ 380 sans-abri. L’événement a pris fin vers 19h30, soit peu de temps avant le début du couvre-feu.
La Dre Nazila Bettache, du collectif Soignons la justice sociale, a été la première à prendre la parole parmi les différents représentants d’organismes qui ont défilé pendant une heure, sous le regard de plusieurs dizaines de citoyens rassemblés au coin de la rue Saint-Hubert et du boulevard de Maisonneuve. Tous portaient un couvre-visage.
«Notre crainte, c’est que le couvre-feu ait un impact sur des communautés qui sont déjà marginalisées», a déclaré Mme Bettache, qui est médecin à Montréal, en entrevue à Métro en marge de cet événement. Elle faisait alors référence, entre autres, aux sans-abri et aux travailleurs essentiels qui continuent de se déplacer pour se rendre à leur lieu de travail.
«Toutes ces personnes-là qui risquent de subir les impacts négatifs de la criminalisation de leur vie et de leurs mouvements», a-t-elle ajouté.
De nombreuses répercussions
Une coordonnatrice du L’R des centres de femmes, Katia Pharand-Dinardo, a notamment fait part lundi soir de sa crainte que des femmes victimes de violence conjugale se retrouvent encore plus vulnérables en raison du couvre-feu.
«Je m’inquiète pour les femmes qui se retrouvent dans une maison violente qu’elles ne peuvent plus quitter [le soir]», a aussi soulevé l’avocate Arij Riahi.
Les travailleuses du sexe risquent aussi de subir des répercussions financières de cette mesure, tandis que certains organismes appréhendent une hausse des surdoses si l’accès aux sites d’injection supervisée devient plus complexe en soirée, en raison de cette mesure sanitaire.
Mme Bettache remet ainsi en question la pertinence d’un couvre-feu d’un point de vue de santé publique, surtout considérant ses nombreuses répercussions négatives sur certains groupes. Selon elle, Québec devrait plutôt «cibler les lieux où il y a des éclosions», comme le secteur manufacturier, au lieu d’avoir une approche «axée sur la répression».
«On n’a pas besoin de plus de policiers dans les rues. On a besoin de plus d’inspecteurs en sécurité et santé du travail», a pour sa part lancé Mostafa Henaway, qui est organisateur communautaire au Centre des travailleurs et travailleuses immigrants. Ce dernier craint par ailleurs que des travailleurs essentiels ayant un statut précaire se fassent repérer par les policiers en revenant au bercail en fin de soirée. Ils risquent alors de subir une «déportation», appréhende-t-il.
«J’ai l’impression que le lien de confiance avec la population est déjà brisé et qu’avec des mesures répressives, on risque encore plus d’exacerber le manque de confiance que la population éprouve envers son gouvernement.» -La Dre Nazila Bettache, du collectif Soignons la justice sociale
Des inquiétudes pour les itinérants
Les organismes qui ont pris part à cet événement appréhendent également que de nombreux itinérants reçoivent une amende de 1550$ s’ils déambulent à l’extérieur après 20h, au cours des prochaines semaines. Le constat peut grimper à 6000$, en cas de récidive.
«On vous force à aller dans un refuge et si vous ne voulez pas, on vous donne une amende», a déploré Jessica Quijano, qui est membre de la Coalition pour le définancement de la police.
Cette fin de semaine, la police de Montréal a effectué 122 interventions auprès de sans-abri. Une seule d’entre elles a mené à la remise d’une contravention de 1550$.
Dans les derniers jours, le gouvernement Legault a d’ailleurs assuré que les policiers feront preuve de tolérance dans l’application du couvre-feu. Les policiers guideront notamment les sans-abri vers les refuges en place.
«Il n’y a pas assez de services pour [les sans-abri]», a toutefois affirmé la cofondatrice de Résilience Montréal, Nakuset. Selon elle, «plus d’efforts» sont nécessaires pour répondre aux besoins des sans-abri, notamment de la part de la Ville de Montréal.