Alors qu’une discussion a été entamée jeudi à Québec sur la vaccination obligatoire des travailleurs de la santé, des professeurs s’inquiètent d’un retour à l’université sans obligation vaccinale.
En Ontario, où il n’y a pas de passeport vaccinal, l’Université d’Ottawa a imposé la vaccination obligatoire de ses étudiants. L’Université de Toronto mise quant à elle sur «l’autodivulgation d’une preuve vaccinale».
Au Québec, rien de tel n’est prévu pour l’instant.
«Je ne suis pas optimiste pour les prochaines semaines et, pour être honnête, je suis inquiète à la perspective d’enseigner le premier jour de la semaine», avoue Nathalie Grandvaux, chercheuse et professeure au département de biochimie de l’Université de Montréal.
Si elle se dit «très contente» de retrouver les étudiants, elle est certaine que ce retour sur le campus sans vaccination obligatoire aura un impact sur la transmission.
«On va avoir de la transmission, c’est inévitable. Limiter la transmission, c’est ce qu’on veut. On se trouve au début d’une 4e vague et nos campus vont contribuer à cette transmission inutilement, même si c’est une transmission de personnes plus jeunes, cela aura un impact sur les hospitalisations et surcharger le système de soins.»
Nathalie Grandvaux, professeure de biochimie à l’UdeM et Directrice du laboratoire de recherche sur la réponse de l’hôte aux infections virales.
Pour elle, une rentrée sans vaccination obligatoire représente «une opportunité manquée de protéger la population». La chercheuse rappelle que si, à l’UdeM, 85% des étudiants sont vaccinés (soit 45 000 étudiants), il ne faut pas «mettre en péril la santé de ces 6000 autres jeunes. Et, «en tant que profs, on peut aussi être des personnes vulnérables, malgré la vaccination».
Mme Grandvaux est formelle: la communauté universitaire à «un rôle à jouer dans la diminution de la transmission du virus», et elle n’est pas la seule.
Pour Brunilde Sanso, professeure au département de génie électrique à Polytechnique Montréal, le «grand moyen» pour protéger les étudiants, les employés et leurs familles, en particulier les plus démunis, est d’augmenter le pourcentage de vaccination sur le campus. Pour elle, un retour en classe sans présentation d’une preuve vaccinale est «dangereux, avec le variant Delta en circulation».
De plus, Mme Sansó voit dans la politique actuelle sur le passeport vaccinal «une incongruence».
«Le passeport vaccinal est imposé pour entrer dans un bar où il peut y avoir quelque dizaine de personnes, alors qu’il n’est pas requis dans une grande salle de cours avec 150 étudiants. J’espère que le gouvernement va corriger cette incongruence.»
Brunilde Sansò, Professeure au département de génie électrique, Polytechnique Montréal
Un besoin «d’encadrement»
Mme Sansò se dit en faveur «d’une présentation de preuve vaccinale avec encadrement des non-vaccinés», plutôt que «d’une vaccination obligatoire». Elle souligne que certains étudiants internationaux n’ont pas pu se faire vacciner avant leur arrivée au pays.
En effet, les rythmes de vaccination à l’échelle de la planète sont très inégaux (moins de 5% du continent africain par exemple) et certains vaccins ne sont pas reconnus au Canada.
«Un bon pourcentage de nos étudiants étrangers viennent des pays où la vaccination n’est pas disponible. Il faut mettre en place un programme pour que ces étudiants soient encadrés, testés et suivis dans le campus avant de recevoir leur vaccin.»
Brunilde Sansò, professeure au département de génie électrique, Polytechnique Montréal
Pour Nathalie Grandvaux, la décision d’imposer la vaccination à l’enseignement supérieur revient au gouvernement, sans quoi «les universités n’avanceront pas».
«Ça devient la responsabilité du gouvernement de nous accompagner dans cette démarche», ajoute-t-elle. Elle espère que le gouvernement, la santé publique et le ministère vont se rendre compte que les universités, c’est un service essentiel.»
Des professeurs opposés
Alors qu’une commission parlementaire se déroulait jusqu’à vendredi soir pour évaluer la vaccination obligatoire du personnel de la santé, des membres de la communauté enseignante en ont profité pour exprimer leur désaccord vis-à-vis d’une obligation vaccinale.
Bernard Tremblay, le président de la Fédération des cégeps, a déclaré que l’imposition de la vaccination aux étudiants «viendrait compromettre un droit important à l’éducation».
M. Tremblay a également ajouté que si la vaccination obligatoire est imposée pour l’enseignement supérieur, «la communauté collégiale va s’y conformer», mais «les cégeps ne sentent pas la nécessité d’y avoir recours».
Son avis est partagé par Pierre Cossette, président du Bureau de coopération interuniversitaire.
«On peut nous faire confiance, on a su le démontrer […], La réalité est propre à chaque établissement, il faut leur laisser une autonomie», explique-t-il.