Montréal

Le baryton

Chaque mardi, la journaliste et animatrice Julie Laferrière et l’humoriste, animateur et illustrateur Pierre Brassard posent un regard original sur les usagers du transport en commun.

Ligne d’autobus 47, direction ouest. Nous sommes jeudi, il est 18h10.

Avoir une voix qui porte est un atout. Surtout quand on a le désir, par exemple, d’être chanteur, contremaître de chantier, professeur ou «calleur» au bingo.

Une voix qui en impose est aussi utile quand, en tant que parent, il faut rappeler au petit bout d’homme ou de femme en face de soi qui est le patron dans la maison. Oui. Je sais. Il existe plusieurs enfants dont la voix en impose davantage que celle de leurs père et mère.
Bref, avoir des cordes vocales puissantes est un atout, dans bien des circonstances. Malheureusement, cette chance ne vient pas toujours avec un bon jugement.

Ce soir-là, un homme à la stature de Gino Quilico, qui s’est assis bien au fond du bus, discute ferme avec un ami. Jusque-là, rien d’exceptionnel, si ce n’est que l’ami est assis à plus de trois mètres de lui et que l’homme à la verve dynamique ne semble aucunement freiné par cette distance.

Ses mots atteignent leur cible, qui se contente d’écouter. Car l’ami, qui est de toute évidence plus pudique que le baryton déchaîné, n’ose pas alimenter cette conversation longue distance. Il est aussi conscient que nous, les autres usagers, sommes pris en otage dans cet échange à sens unique.

L’homme à la grosse voix orageuse gronde, dans un même roulement, qu’il en a assez de la collusion, que l’hiver sera dur, que sa nièce souffre du diabète et que P.K. a intérêt à bien jouer cette saison.

Certains passagers écoutent les propos du citoyen énergique, alors que d’autres cherchent leurs écouteurs pour dresser une barrière entre eux et ce bruyant émetteur.

Je sens que le lecteur assis à mes côtés reprend dans sa tête la même phrase pour la énième fois. Incapable de se concentrer au cœur d’une tempête de mots qui ne lui sont pas destinés.

L’envie me prend soudainement de mettre une sourdine au soliste. Comme on le ferait à une trompette. Et ensuite de le glisser dans son étui.

Puis, je me dis, pour respecter la comparaison musicale et faire preuve d’indulgence, que si la voix est un instrument, tous ne sont simplement pas également doués pour jouer leur partition. Alors, je mets moi aussi mon casque d’écoute pour retrouver Barry White, question de rester quand même dans la même tonalité!

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