Les 23 et 24 avril 1966, à l’initiative de l’activiste Thérèse Casgrain, près de 400 femmes de différentes croyances et origines ethniques, provenant de plusieurs régions du Québec, se regroupent à Montréal dans le but de faire avancer leurs droits.
Elles fondent la Fédération des femmes du Québec (FFQ), dont les combats ont contribué aux avancées spectaculaires des conditions des femmes depuis 50 ans.
À l’époque de ce congrès de formation, il n’y avait qu’une seule femme députée à l’Assemblée nationale. Le divorce était illégal, et l’avortement était criminel. Pour le même travail, les femmes gagnaient un salaire inférieur à celui des hommes, puisque leur emploi était considéré complémentaire à celui de leur mari. Les garderies d’État n’existaient pas.
«Les femmes qui ont signé la charte de la FFQ ont dû inscrire le nom de leur mari à côté du leur, souligne Flavie Trudel, enseignante au Cégep de Lanaudière, à Joliette, dont la thèse de doctorat portait sur l’histoire de la FFQ. Ce sont des avocates, des journalistes, mais elles doivent mettre le nom de leur mari quand elles fondent une association pour le droit des femmes! Et les célibataires devaient mentionner qu’elles étaient majeures.»
Ces femmes, certaines étant présentes au congrès à titre individuel et d’autres en tant que représentantes d’organismes féminins, étaient toutefois décidées à faire changer les choses. En mettant leurs efforts en commun, elles comptaient avoir une force de frappe.
Leur congrès n’est pas passé inaperçu. Les députés libéraux Claire Kirkland-Casgrain et René Lévesque, alors ministre de la Famille et du Bien-Être, y ont participé et ont bien accueilli le nouveau regroupement. «Elles savaient que pour changer les choses, elles devaient être près du pouvoir, sans être partisanes», poursuit Mme Trudel.
«J’incarne l’opposition, mais c’est une erreur, car l’opposition [aux combats des femmes] est de plus en plus faible, sauf chez les fossiles, dont le nombre va en diminuant, et les esprits distraits, ce qui est plus grave.» –René Lévesque, ministre de la Famille et du Bien-Être, invité d’honneur au congrès de fondation de la FFQ. Il a demandé aux femmes de «faire pression aux bons endroits» et de pas «enfoncer les portes ouvertes».
Par ailleurs, Radio-Canada et les sections «Vie féminine» et «L’univers féminin» des journaux La Presse et Le Devoir ont rapporté l’événement le lendemain. «Ce ne sont pas les femmes qui contrôlent les médias en 1966, mais les femmes journalistes vont en parler, remarque Mme Trudel. Elles vont aussi lutter pour qu’il y ait moins de pages féminines et plus de place pour les femmes dans les médias en général, arguant que leurs préoccupations sont celles de tout le monde.»
«J’avais suivi le congrès de formation dans les journaux, se rappelle pour sa part Ghislaine Patry-Buisson, présidente la FFQ de 1973 à 1977. Je trouvais ça très positif, surtout les recommandations qui émanaient de ce congrès, comme de faire une enquête nationale pour démontrer les inégalités sur tous les sujets. Cela s’est matérialisé avec la commission Bird l’année suivante.»
Mme Patry-Buisson estime également que la FFQ a contribué à augmenter la présence de femmes en politique. Un nombre impressionnant de femmes ont effectivement milité au sein de la FFQ avant de faire le saut en politique, dont Jeanne Sauvé, Françoise David, Pauline Marois et Vivian Barbot.
Les revendications d’hier à aujourd’hui
Même si les femmes ont acquis plusieurs droits au cours des 50 dernières années, les sujets sur lesquels portent leurs revendications demeurent pratiquement les mêmes.
Lors du congrès de fondation de la FFQ en 1966, les participantes ont notamment discuté de la parité salariale, de leurs conditions de travail – pour celles qui occupaient un emploi – et des garderies, des thèmes qui trouvent encore un écho aujourd’hui.
«Nos acquis sont de plus en plus fragiles, affirme l’actuelle présidente de la FFQ, Mélanie Sarazin, en soulignant que l’iniquité salariale entre les hommes et les femmes persiste, et que les compressions dans le réseau des centres de la petite enfance nuisent à l’autonomie économique des travailleuses.
Puisque la FFQ croit que le gouvernement actuel n’est pas à l’écoute de ses demandes, elle ne formule pas de revendication précise cette année. Elle préfère se concentrer sur ses membres et leurs préoccupations.
Pourtant, la FFQ a réalisé des gains notoires dans les dernières décennies. L’année suivant sa fondation, la commission Bird sur la situation des femmes a été instaurée. Selon Mme Sarazin, l’influence de la FFQ y était pour quelque chose. En 1970, la commission a reconnu l’inégalité de fait entre les hommes et les femmes. Elle a recommandé d’accorder le droit à l’avortement et d’instaurer un congé de maternité.
À la suite de la marche Du pain et des roses, en 1995, une hausse du salaire minimum a été consentie par Québec, ainsi qu’une réduction de la durée de parrainage des femmes immigrantes, passée de 10 à 3 ans.
Les premières revendications de la FFQ visaient surtout à conférer une autonomie économique et politique aux femmes, explique Mélanie Sarazin, alors qu’aujourd’hui, ses préoccupations sont plutôt de nature sociale. «Quand Françoise David est arrivée [NDLR: la députée de Québec solidaire a présidé la FFQ de 1994 à 2001], elle a décidé qu’on devrait travailler un peu plus sur la pauvreté et la violence, qui nuisent aux conditions de vie des femmes.»
–Marie-Ève Shaffer
Évolution du droit des femmes
- 1966 – Congrès de fondation de la Fédération des femmes à Montréal
- 1967 – Mise sur pied de la commission d’enquête Bird sur la situation des femmes au Canada. Son rapport reconnaît l’inégalité de fait entre les hommes et les femmes.
- 1968 – Les femmes mariées peuvent voter et être candidates aux élections municipales.
- 1971 – Création de 70 garderies populaires au Québec
- 1973 – Création du Conseil du statut de la femme
- 1975 – La Charte des droits et libertés de la personne est adoptée au Québec. La discrimination fondée sur le sexe est désormais interdite.
- 1981 – Le nouveau Code civil entre en vigueur. Les femmes conservent désormais leur nom de famille.
- 1989 – Le père présumé d’un enfant à naître ne peut s’opposer à la décision d’une femme de se faire avorter, statue la Cour suprême.
- 1996 – Adoption de la Loi sur l’équité salariale
- 2006 – Début du régime québécois d’assurance parentale