TORONTO — Lorsqu’Ayelet Freedman a demandé l’an dernier à ses élèves de première secondaire de résoudre un problème mathématique en équipe, une adolescente de 12 ans a dit qu’elle était «trop stupide» pour collaborer avec ses camarades.
«Elle ne cherchait pas de l’attention, elle était convaincue qu’elle était stupide», raconte Mme Freedman, qui enseigne les mathématiques et les langues dans la région de York, en Ontario.
Elle a donc pris la jeune fille à part, lui a garanti qu’elle n’était pas stupide, et lui a demandé d’essayer de travailler avec les autres élèves, dont plusieurs étaient bavards et confiants.
«Vers la fin de l’année, elle parlait plus et elle participait davantage, et elle était plus confiante», rapporte l’enseignante.
La confiance est un problème énorme pour les filles dans le domaine des mathématiques, démontrent des recherches et des données. Les experts croient que cela explique en partie pourquoi les femmes sont autant sous-représentées dans les métiers de la science, de la technologie, du génie et des mathématiques.
Un écart dans la confiance des garçons et des filles en mathématiques fait surface dès la troisième année du primaire en Ontario, même si les notes sont comparables. La tendance se maintient ensuite au secondaire.
Selon l’épreuve unique de l’Office de la qualité et de la responsabilité en éducation (OQRE) pour l’année scolaire 2016-2017, seulement 49 pour cent des filles ontariennes de troisième année se croyaient bonnes en mathématiques, comparativement à 62 pour cent des garçons ontariens.
L’écart se creuse en sixième année, avec 46 pour cent des filles et 61 pour cent des garçons.
«Ces attitudes sont cruciales — elles prédisent de manière importante les choix de carrière en mathématiques», souligne Mary Reid, qui enseigne l’enseignement des mathématiques à l’Université de Toronto. Mme Reid s’intéresse aussi aux différences entre les deux sexes.
Certaines raisons sont bien connues: les stéréotypes selon lesquels les hommes sont meilleurs que les femmes en sciences et en mathématiques, tandis que les femmes seraient meilleures comme soignantes; l’absence de modèles dans un domaine spécifique; et des problèmes à la maison, selon Mme Reid.
L’angoisse des mathématiques
Un autre problème retient l’attention des chercheurs depuis quelques années, révèle-t-elle: l’angoisse des mathématiques.
Une étude réalisée en 2009 aux États-Unis a constaté que les enseignantes transmettent leur propre angoisse des mathématiques aux filles dans leur groupe, mais pas aux garçons.
Cela enclenche un cercle vicieux, dit Mme Reid, puisque les femmes constituent la forte majorité des enseignants de niveau primaire au Canada et aux États-Unis.
Les recherches de Mme Reid ont noté une corrélation importante entre l’angoisse des mathématiques et la maîtrise du sujet par l’enseignant. Selon les plus récentes données de l’OQRE, 82 pour cent des enseignants au primaire ont fait leurs études postsecondaires dans un domaine n’ayant rien à voir avec les mathématiques.
«Si on ne comprend pas comment additionner des fractions ou les concepts derrière ça, comment peut-on l’enseigner?», demande Mme Reid.
Les élèves du Québec offrent systématiquement la meilleure performance au pays. Les experts attribuent cette situation à des enseignants qui doivent consacrer quatre années à l’obtention de leur diplôme universitaire en enseignement et à un plus grand nombre d’enseignants spécialisés en mathématiques dès la première secondaire.
Mais les enseignants ne sont pas les seuls responsables de la situation.
«On entend constamment des gens dire, « Ne vous en faites pas, je suis nul(le) en mathématiques ». Même les adultes le disent et ça doit cesser, affirme Gina Iuliano Marrello, qui est responsable du succès des élèves au sein du conseil scolaire catholique de Toronto. On n’entend jamais les gens dire, « Ne vous en faites pas, je n’ai jamais été bon(ne) en lecture ». Les gens penseraient que c’est ridicule.»
Les enfants qui arrivent en maternelle n’ont pas cette attitude, dit-elle, mais une fois en sixième année, leur confiance en mathématiques s’est effondrée, souligne Mme Marrello.
Pour Mme Freedman, une jeune enseignante en début de carrière, la confiance en mathématiques est d’une importance capitale.
«Si les filles veulent par exemple un emploi en sciences ou en architecture, il faut nourrir leur confiance en mathématiques et trouver des travaux qui exploitent ces aptitudes, explique-t-elle. Si on ne leur donne pas l’occasion de pratiquer ces aptitudes ou d’alimenter leur intérêt pour l’architecture ou quelque chose d’autre, elles ne feront jamais ce choix si elles ne sont pas confiantes en mathématiques.»