J’ai l’impression d’être condamné à écrire ce texte jusqu’à ce que mes doigts tombent, comme Sisyphe sur sa montagne poussant sa roche et quelques sacres après chaque renouvellement de sa pénitence divine.
Dimanche, Tout le monde en parle (TLMEP) lançait sa 15e saison à une semaine des élections provinciales québécoises et ça ne voulait dire qu’une chose: les chefs des principaux partis avaient la tribune pour déballer leurs cassettes.
Comme la mort et les impôts, on peut compter sur TLMEP pour offrir aux politiciens actifs un environnement douillet dans lequel ils peuvent venir rire un bon coup, lancer quelques lignes creuses méticuleusement planifiées par une équipe de relations publiques, et puis s’en aller continuer la poutine répétitive de la campagne de séduction qui s’étirera jusqu’aux dernières secondes avant l’heure limite du 1er octobre.
Charmer le Québec, une émission à la fois.
J’aimerais ça être en mesure de regarder le tout aller avec détachement, mais c’est plus fort que moi. Je me mords l’intérieur des joues quand Guy A. Lepage lance son thème de la «question qui tue» avant d’envoyer une balle molle qu’un habile politicien expédiera de l’autre côté de la clôture sans même verser une goutte de sueur.
Vous me direz que c’est important de parler des enjeux de la campagne sur le plateau d’une émission rassembleuse comme TLMEP et vous avez raison. C’est important d’en parler, mais ça serait encore plus important d’informer les citoyens.
Si vous voulez parler de la campagne et des enjeux, pourquoi pas inviter des experts en la matière avec une certaine neutralité et la distance nécessaire pour faire la part des choses? Recevoir les chefs sur un plateau convivial avec des blagounettes et des chansons douces pour apaiser l’ambiance, c’est l’équivalent de prêcher devant une foule d’initiés. Chacun s’adressera à sa talle déjà conquise, séduite, et retournera à la maison avec le sentiment du travail bien fait. Il faut aussi dire que c’est un brin agaçant de les voir quitter dès que la «job de bras» de passer le message des cassettes est fait. Se mêler à la foule et aux artistes sur le plateau, à quoi bon, ça n’alimente pas la machine politique.
C’est triste, parce que Guy A. nous démontre, quelques fois par saison, qu’il est capable de renvoyer la balle à un invité qui évite les questions. Sauf que les politiciens sont épargnés de ce traitement, alors que dans la même émission on se permet d’envoyer des flèches bien empoisonnées en direction de Béatrice Dalle, une invitée aussi non influente qu’oubliée dans la sphère culturelle québécoise.
Je parle de TLMEP spécifiquement parce que la diffusion était dimanche soir, mais ils sont loin d’être les seuls. Pas mal tous les plateaux avec des entrevues de notre télévision et de notre radio s’échangent les politiciens en campagne pour extraire les mêmes lignes creuses entrecoupées de blagues et de poignées de mains complices.
Ne soyez pas étonnés des mensonges des politiciens quand, sur le tribunal populaire que peut être la télévision, ils sont invités à alimenter, perpétuellement, la langue de bois qui est, bien avant le français, la langue officielle d’une province sur le neutre.