Culture

Raconter les femmes haut et fort au festival Vues d’Afrique

Vues d'Afrique sortir de l'ombre

«Sortir de l'ombre» de Gentille M Assih

Vues d’Afrique se lance dans une 37e édition virtuelle, avec quelque 160 films accessibles jusqu’au 18 avril. Dans cette sélection, les femmes sont nombreuses à prendre la parole – souvent pour évoquer l’indicible. Coup de projecteur.

«Montrer un monde que l’on n’a pas l’habitude de voir sur les écrans d’ici.» La réalisatrice derrière le documentaire lumineux et plein d’espoir Sortir de l’ombre nous donne à voir ces Québécoises originaires d’Afrique de l’Ouest dans leur «vie d’après». Après l’immigration, et surtout après avoir subi des violences conjugales dont elles se sont extraites.

Pour son quatrième long métrage, Gentille M Assih, arrivée du Togo en 2009, suit notamment Christiane, son amie, une «soeur» si joyeuse qu’elle a au fur et à mesure vu «se ternir et s’éteindre». «Cette femme s’est effacée tout doucement sous mes yeux, sans que je voie sa souffrance, explique la cinéaste. Je me suis sentie coupable de ne pas avoir su voir et l’aider. Le film est une forme de thérapie et nous a encore plus rapprochées.»

Voir son film sélectionné à Vues d’Afrique lui permettra ainsi d’atteindre un public plus large, mais aussi d’ouvrir le débat nécessaire sur le tabou des violences conjugales. «On parle d’un problème de société, de quelque chose d’universel», affirme-t-elle. Et qui dépasse les frontières et les cultures.

Vues d’Afrique pour faire évoluer les mentalités

Lorsqu’on lui a proposé d’être l’une des voix de l’édition 2021 du festival, Maud-Salomé Ekila, journaliste et militante qui vit à Kinshasa en République démocratique du Congo (RDC), a bondi de joie. «Être marraine d’un festival international sur l’Afrique et les afrodescendants est incroyable, car je suis panafricaniste et très engagée pour la valorisation des talents. Je sais aussi quels impacts peuvent avoir le cinéma sur des problèmes sociaux, et que ça peut changer les choses», s’enthousiasme-t-elle.

«On peut faire des révolutions grâce au cinéma. Un film peut permettre une prise de conscience collective sur des crises sociales qui perdurent.» Maud-Salomé Ekila, marraine de la 37e édition de Vues d’Afrique

Selon elle, comme c’est le cas pour Sortir de l’ombre, les films du festival posent souvent des questions existentielles sur des sujets de société. «On y retrouve également beaucoup de problématiques qu’il y a sur le continent. C’est très fort quand on voit tout ce que les réalisateurs africains font avec les moyens du bord. Ils parviennent à exprimer ce qu’ils ressentent avec une sensibilité incroyable. Ils sont, de fait, les porte-voix de millions de gens.»

Gérard Le Chêne, PDG international de Vues d’Afrique, souligne pour sa part «l’engagement extraordinaire et la motivation extrême» de la marraine du festival cette année, qui a par ailleurs vu naître une nouveauté. «Agir pour l’égalité est un nouveau prix que le Centre d’étude et de coopération internationale a décidé de décerner au film qui traduira le mieux leur campagne pour l’égalité entre les femmes et les hommes», explique-t-il.

Témoignages de femmes africaines…

Cette égalité passe en partie par la représentation des femmes à Vues d’Afrique. Gérard Le Chêne mentionne à ce propos le documentaire de Joseph Bitamba, Les oubliées des Grands Lacs, qui tend son micro aux Rwandaises, Congolaises et Burundaises victimes de viols et de mutilations génitales.

Il interpelle sur les conflits qui ravagent ces pays depuis des décennies: «on cherche à faire fuir les populations pour laisser champ libre aux exploitations minières, etc., et les femmes sont les principales cibles».

Chargée de communication pour le docteur Mukwege – Prix Nobel de la Paix en 2018 justement pour son travail de «réparation» de ces femmes victimes de violences sexuelles en RDC – Maud-Salomé Ekila se réjouit de la présence de Séma, dont elle est la directrice de production, à Vues d’Afrique.

Le moyen métrage de Machérie Ekwa a été écrit par plus de 60 femmes survivantes de viols utilisés comme arme de guerre. Grâce à leur mouvement, celles-ci «se rendent partout dans le pays pour faire de la sensibilisation, aider ces femmes qui ont vécus des viols d’une violence inouïe, les aider à briser le silence, les écouter, mettre à leur disposition un système de prise en charge…».

Maud-Salomé Ekila révèle ainsi que le choix de la fiction pour traiter le sujet a permis de mettre en scène ce qui n’est pas possible de montrer dans un documentaire, comme les viols et la corruption lors des procès.

Et du Québec

De l’autre côté de l’océan, alors qu’elle souhaitait d’abord faire un film sur les femmes qui l’entourent, Gentille M Assih a rapidement saisi que quelque chose n’allait pas. «En tant que femme moi aussi, je pense que j’étais dans une forme de déni. J’ai dû me rendre à l’évidence pendant le développement de mon projet. Magnifier ces femmes oui, mais accepter aussi qu’elles vivent en silence de la violence conjugale.»

C’est alors que la cinéaste montréalaise a dû trouver une façon de parler de ces violences avec honnêteté et humilité, tout en montrant des femmes battantes qui trouvent des solutions pour s’en sortir. «Nous les immigrantes d’Afrique de l’Ouest, nous avons cette chance d’avoir appris la solidarité dès l’enfance», dit-elle.

Consciente que les violences conjugales sont un problème global, Gentille M Assih a cependant craint «que les gens croient que ce sont parce que ce sont des immigrantes que ça leur est arrivé», mais aussi que les immigrants accueillent froidement Sortir de l’ombre.

Et de poursuivre «j’ai un malaise quand j’entends dire dans les médias que les violences conjugales au sein de la communauté immigrante sont liées au fait que la femme n’a pas sa place dans nos cultures. C’est faux. Je viens de l’Afrique de l’Ouest, et dans mon éducation on ne m’a pas appris à baisser la tête. Nous avons toutes un combat à mener, Africaines comprises, mais, non, notre culture n’impose pas ces violences conjugales.»

Enfin, Gentille M Assih en est arrivée à la conclusion que peu importe comment son documentaire est reçu, «nous n’avons pas le choix d’en parler, car ça existe. À nous de trouver des solutions avec nos conditions de personnes qui subissent le racisme systémique. C’est un risque à prendre».


Les immanquables de Vues d’Afrique

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