« Hum, c’est une de mes odeurs préférées, ça me rappelle mon enfance », s’émerveille la lumineuse autrice et scénariste Sarah-Maude Beauchesne, originaire de Granby, en humant l’effluve… de purin que la brise douce transporte des champs à perte de vue de Calixa-Lavallée.
C’est dans cette municipalité de Montérégie que sont tournées des scènes champêtres du film Cœur de slush en cette journée d’automne au ciel aussi azur qu’une barbotine à la framboise bleue. Mariloup Wolfe réalise cette adaptation du roman jeunesse éponyme paru en 2014 et signé par une Sarah-Maude depuis propulsée grâce à sa websérie Fourchette.
On ne pourrait souhaiter de meilleures conditions pour un tournage — d’autant que, quelques jours plus tôt, des intempéries avaient contrecarré des scènes de cyclisme, que l’équipe reprenait cette journée-là.
« Tu vas être bon! », lance Sarah-Maude au comédien Joseph Delorey, qui incarne l’objet du désir de la protagoniste, venu lui faire une accolade avant de tourner.
Un premier scénario de film
Si la scénariste de 32 ans est maintenant habituée d’écrire des séries, ayant cosigné Le chalet et L’académie, elle donne vie ici à son premier scénario de film.
Il était inconcevable à ses yeux qu’un.e autre scénariste adapte ce récit mettant en scène sa propre adolescence, écrit alors qu’elle avait 18 ans, nous raconte-t-elle en entrevue, assise sur le balcon d’une jolie maison aux lattes de bois blanches et au toit bleu acier où seront filmées des scènes familiales.
L’on suit dans Cœur de slush son alter ego, la très grande Billie, sauveteuse dans un parc aquatique des Cantons-de-l’Est, qui, à l’été de ses 16 ans, vit son premier amour. Mais voilà que sa grande sœur, Annette-la-parfaite, s’éprend du même garçon.
Oui, leur sororité sera mise à mal. « Mais l’amour entre les sœurs l’emportera sur l’amourette d’été! », se réjouit l’interprète de l’aînée, Camille Felton, vue récemment dans Toute la vie. Avec Sarah-Maude, ce sont les girls avant tout.
Cette dernière a amorcé le scénario il y a six ans : elle n’était alors ni la scénariste ni la femme qu’elle est aujourd’hui, souligne-t-elle. « En six ans, je l’ai écrit, l’ai réécrit, pris deux ans de pause, été fâchée contre lui, l’ai laissé de côté, y suis revenue », relate-t-elle, rieuse.
J’ai entièrement appris mon métier ces six dernières années avec Le chalet, L’académie, Fourchette. C’est comme si j’avais fait mon bac en même temps de faire mon métier. Comme si j’étais à l’école de la vie. Mais j’ai appris à toujours m’inspirer de ce qui me tient à cœur.
Sarah-Maude Beauchesne, scénariste du film Cœur de slush
A jailli de ce long processus un scénario en phase avec son époque, qui ressemble à la femme qu’elle est devenue.
« C’était important pour moi de mettre des valeurs actuelles dans la bouche des jeunes et de ne pas sonner comme une matante qui fait un film sur des ados », lance la rousse autrice.
Camille, qui est au début de la vingtaine, corrobore. « Les tournures de phrases, les mots, les dialogues : tout est vrai, c’est d’actualité. Une amie de Billie est super militante et connaît les principes du patriarcat! Ça m’arrive de devoir changer certaines répliques sur des tournages pour que ça roule mieux dans ma bouche, mais ici, non. »
Et que pense pour sa part François Létourneau, qui campe le père de Billie et d’Annette accablé par son divorce avec leur mère, de l’écriture de Sarah-Maude?
« Le scénario est très tendre et humain, il y a beaucoup de finesse et d’intelligence, témoigne le comédien. On est loin des clichés des films d’ados. C’est un portrait riche d’une période — l’adolescence — dont tout le monde se souvient. On sent que lorsque Sarah-Maude écrit, elle ne prend pas les ados de haut. Elle transmet aux ados de son scénario toute son humanité à elle. »
Une grande nostalgique
Sarah-Maude Beauchesne l’affirme sans ambages, elle est une grande nostalgique. « Ado, je prenais le temps de voir les belles choses du quotidien et de vivre mes étés comme si ma vie en dépendait. Les années 2000, c’était une époque prime time pour vivre son adolescence : je ne pensais pas à la fin du monde, l’écoanxiété n’existait pas. J’aime me replonger dans cette douceur, dans ces émotions », affirme-t-elle avec tendresse.
« J’ai eu une adolescence ouatée, privilégiée. J’ai vécu de belles histoires d’amour, même si ce n’était pas si nice tout le temps », nuance l’autrice féministe. Comme sa première relation sexuelle, qui se retrouve dans le film.
J’ai écrit ce livre parce que je m’étais rendu compte, ado, qu’on m’avait monté un beau grand bateau sexuel et romantique. Je voulais écrire une scène de première relation réaliste. Je ne voulais pas raconter de mensonges aux ados qui allaient lire le livre. C’était important pour Mariloup et moi que ce soit vrai, réaliste, brut, mais aussi poétique et touchant, sans mensonges.
Sarah-Maude Beauchesne, scénariste du film Cœur de slush
La scénariste ne tarit pas d’éloges à l’égard de celle qui ravive son adolescence, Liliane Skelly. « Son jeu est juste et dans la subtilité. Elle transmet tellement bien le sentiment de ne pas être bien dans sa peau, mais de vouloir vivre des choses; l’émerveillement que je ressentais devant ce gars pas si nice dans le fond, mais que je voyais de façon si exceptionnelle », décrit-elle.
Transmettre le goût d’écrire
Lorsque le film prendra l’affiche, l’été prochain, Sarah-Maude Beauchesne souhaite notamment donner envie à des ados d’écrire des scénarios, leur faire découvrir ce métier dont elle ignorait tout avant de s’y aventurer avec Le chalet. « J’aurais aimé ça, aspirer à être scénariste, mais je ne savais pas que c’était un métier. C’est tellement beau d’aspirer à devenir quelque chose, d’avoir une passion », dit celle qui, ado, rêvait plutôt d’être mannequin. Elle l’a été, par ailleurs… et a détesté!
Son véritable rêve, elle le vit aujourd’hui, peinant encore à croire qu’écrire chaque jour en pyjama des projets thérapeutiques qui lui viennent du cœur est son travail. « Ma mère dirait : “Déguste Sarah-Maude, déguste!” »
Une cause qui lui tient à cœur
Sarah-Maude Beauchesne s’est nouvellement unie à Mitsou Gélinas à titre de porte-parole de la Fondation cancer du sein du Québec.
« Ç’a m’a chamboulée d’apprendre que le cancer du sein, c’est le plus meurtrier, qu’à 32 ans, je ne suis vraiment pas à l’abri de ça », raconte l’autrice, qui a d’emblée accepté lorsqu’on lui a proposé ce rôle. « Je veux que les femmes et les hommes se rappellent que ce n’est pas seulement les femmes de 50 ans qui doivent aller se faire faire une mammographie. »
« La fondation, elle t’accompagne à toutes les étapes d’un cancer, du moment que tu trouves quelque chose de bizarre dans ton aisselle ou ton sein à la rémission, outre la recherche, ajoute l’ambassadrice. L’accompagnement humain dans un cancer, c’est tellement important. Quand je me mets dans la peau de quelqu’un qui a un diagnostic de cancer, je veux qu’on me prenne par la main. »
Sans compter que les seins, conclut Sarah-Maude, « représentent beaucoup de choses dans [son] travail, notamment dans Fourchette », websérie dans laquelle son personnage ne porte jamais de soutien-gorge.