«10 ans de La soirée est (encore) jeune, il y a de quoi aspirer aux funérailles nationales!» La boutade de Catherine Éthier n’aurait pu mieux résumer, à elle seule, l’atmosphère un brin piquante, mais gentille, qui régnait au Roast que Juste pour rire réservait à Jean-Philippe Wauthier, Jean-Sébastien Girard et Olivier Niquet, à la Salle Wilfrid-Pelletier, jeudi soir.
Le très attendu bien-cuit couronnait une année charnière pour le trio (autrefois quatuor avec Fred Savard), qui a conclu l’aventure de La soirée… dans les louanges et l’émotion en mai, mais qui sévira encore à l’automne avec La journée (est encore jeune). Les innombrables adieux et hommages à notre groupuscule de mâles blancs cisgenre, depuis deux mois, et son omniprésence sur nos tribunes ont d’ailleurs donné lieu, jeudi, à quelques blagues lors du spectacle qu’animaient quatre «dames de cœur» de La soirée…, Anne-Marie Cadieux, Élise Guilbault, Suzie Bouchard et Maude Landry.
Or, dans l’ensemble, la longue (deux heures) séance de taquineries(qui aurait souvent gagné à être resserrée, du moins dans la représentation de 18 h – une autre suivait à 21 h) s’est avérée plutôt proprette. Bien sûr, les nombreux.euses invité.e.s, toustes des surprises pour nos jubilaires, se sont allègrement payé leur tête, on s’est moqué des cheveux de Jean-Philippe Wauthier, de la relation fusionnelle de Jean-Sébastien Girard avec sa maman et de l’attachement d’Olivier Niquet pour le Mile End, mais rien de bien méchant n’est ressorti de ce fourre-tout qui a sans doute ravi les adeptes de la première heure de La soirée…
«La pire catastrophe scénique…»
Seulement l’ovation monstre qui a accueilli nos hommes lorsqu’ils se sont presque timidement pointés dans la loge où ils allaient rester assis pendant toute la durée de l’événement laissait présager que Wauthier, Girard et Niquet allaient recevoir quelques taloches, mais surtout beaucoup d’amour pendant ce survol d’une décennie.
«Bienvenue à cet hommage à la masculinité toxique», a clamé Anne-Marie Cadieux d’entrée de jeu. Les «dames de cœur» sont ensuite revenues entre chaque numéro pour présenter les convives, tous d’horizons diversifiés.
Alex Perron nous a servi sur le ton de la vengeance le coming out… hétérosexuel de Jean-Sébastien Girard, se faisant passer pour son amoureux secret. «C’est ce soir que la bullshit s’arrête! Ça fait 10 ans que je suis le partenaire de Jean-Sébastien Girard, et il n’y a pas plus hétéro que ça!»
Toujours éloquente, Catherine Éthier a discouru sur son deuil apparemment douloureux de La soirée est (encore) jeune. «J’ai perdu l’appétit, mes règles sont devenues incontrôlables, très abondantes…» Présentant un portrait d’Olivier Niquet au fusain accompli de sa main, mamelons inclus, la collaboratrice s’est néanmoins réjouie des multiples résurrections à venir de son concept chouchou. «Vous êtes les petites Marie Carmen, Joe Bocan et Marie Denise Pelletier de la radio.»
Belle réussite que ce monologue de Billy Tellier, qui a gagné deux trophées Olivier contre La soirée…, mettant en relief les différences entre les radios parlées et commerciales. Ponctuant sa tirade d’échantillons publicitaires, celui qui anime depuis 12 ans à CKOI («Ce matin, CKOI devait être très, très contente d’avoir engagé le bon humoriste de radio commerciale…») a décliné quelques conseils aux gars pour élargir leur audience – et non plus seulement rejoindre le «jeune numismate sapiosexuel qui tente de finir son bac en langue morte» – et se rapprocher des «Kevin» auditeurs des ondes populaires, comme s’intéresser à Tiësto. «T’as pas été proche de ton public tant que t’as pas été obligé, comme moi, d’aller à Cuba avec des gagnants de concours!»
Mais notre palme personnelle revient à Charles Beauchesne, qui a adapté sa série des Pires moments de l’histoire aux Pires moments de La soirée… , en revenant sur le passage raté de la bande d’ICI Première au festival ComediHa! de Québec, en 2016, où elle s’était fait copieusement huer. «La pire catastrophe scénique jamais observée depuis que l’Homo sapiens marche debout». Beauchesne a relaté l’épisode avec les répliques exactes de l’époque, regards à l’appui, avec une montée de suspense en crescendo, comme on raconterait un spectaculaire coup d’État. Excellent et formidablement bien pensé.
Et autres plaisirs
Aussi, l’historien Laurent Turcot, la journaliste Josée Boileau, l’animateur Pierre Brassard, le chroniqueur Marc Cassivi, la créatrice Brigitte Poupart (qui signait la mise en scène de ce bien-cuit) et l’humoriste Michelle Desrochers se sont succédé.e.s pour faire revivre des segments notoires de La soirée est (encore) jeune, comme le Jeannorama, Les coulisses du pouvoir et le Culture quiz, ou poivrer sans trop de malice leurs «victimes». Micheline Lanctôt a «corrigé» avec sévérité une lettre ouverte rédigée par Jean-Philippe Wauthier «dans son jeune temps», portant sur les fusions municipales.
C’est au «conjoint de Florence Longpré», un Pascal Cameron qui se disait «trahi et déshonoré», qu’est revenu l’honneur de fermer la marche pas du tout funèbre, avec une vindicative revanche de la part de tous ceux et celles qui n’ont jamais «été rappelé.e.s» par La soirée, comme lui-même, Jérôme 50 ou Sam Boisvert. «On dirait que vous êtes plus coupables que Phil Bond!», a-t-il craché sous les applaudissements nourris de la foule. Une prestation de Johanne Blouin sur J’aurais voulu te dire fut ensuite le clou de cet au revoir à cette Soirée… qui aura définitivement marqué sa génération.
Le 40e festival Juste pour rire se poursuit jusqu’au 31 juillet.