Un ultime arrêt de quelques jours à Montréal, qui débutait… le 16 août. On soupçonne l’âme d’Elvis d’avoir manigancé avec Martin Fontaine pour que les dernières représentations de son Elvis Experience dans la métropole coïncident avec l’important 45e anniversaire du décès de la légende (en 1977, doit-on le rappeler?). Autrement dit, le moment était significatif mardi soir, au Théâtre St-Denis.
C’est donc bel et bien vrai, du moins pour l’instant: Martin Fontaine remisera à la fin de l’année ses habits clinquants de pierres, de ceintures scintillantes et autres fioritures (bien ouverts à la poitrine, comme il se doit), qu’il enfile depuis 1995 pour personnifier un King plus vrai que nature.
Lui qui a porté à bout de bras et de perruque noire une première production, Elvis Story, pendant 12 ans (et 1500 prestations devant 1,7 million de personnes, en France, aux États-Unis, au Japon et en Chine, avec d’autres apparitions en 2009 et 2010), qui a cru pouvoir se défaire de son Elvis d’alter ego pendant sept ans – le temps d’étrenner d’autres projets, sans que l’étiquette de l’icône rock and roll ne l’abandonne d’un iota – puis qui a renoué avec sa vocation en créant Elvis Experience, en 2013, opus qui aura, dignement, traversé une autre décennie la tête haute et le foulard au vent.
Encore ici, on ne manquera pas de superlatifs pour saluer les exploits répétés d’Elvis Experience: Paris et Vegas se sont trouvées sur son sillon de plus de 200 000 témoins, et Madame Priscilla Presley a donné son sceau d’approbation à la franchise. Rien de moins.
Mais Fontaine le répète depuis quelques mois: début 2023, Elvis, ça sera fini pour lui. Il terminera l’aventure d’une vie là où tout a commencé, au Capitole de Québec, du 7 au 31 décembre. Or, ne dit-on pas qu’il ne faut «jamais dire jamais»? Elvis a pu vivre sans Martin Fontaine… mais est-ce que Martin Fontaine pourra vivre sans Elvis?
L’Elvis de 1972
Elvis Experience recrée l’époque 1972, alors que l’icône américaine, fringante, alors au sommet de sa forme, enchaînait les résidences à Las Vegas et les tournées de concerts aux États-Unis. On nous met en contexte dès le départ: en réalité, le chanteur n’avait alors que frôlé la frontière du Québec, mais Elvis Experience «change le cours de l’histoire» et «fait comme si» Elvis était vraiment venu se produire chez nous. Précieuse mise en scène!
À grands coups de projections de véritables archives, on voit les foules qui s’émoustillaient pour Elvis, le chanteur qui charmait les villes, des tranches du quotidien… On réentend, intact, le répertoire de l’époque et les chansons repiquées à travers les années, offerts par une quinzaine de musiciens, cordes, cuivres et percussions, et une dizaine de choristes (habillé.e.s comme leurs vis-à-vis des extraits vidéo!) répartis en imposant band dans tout l’espace.
Devant nous, Martin Fontaine fait concorder ses mouvements et ses déplacements avec les images derrière lui, se déhanche et bouge exactement comme son inspiration, secoue le pied et la tête, descend parmi l’assistance se pavaner un brin, lance t-shirts ou autres surprises dans la salle – et on se précipite comme des ados pour les attraper! –, se penche de son trône pour serrer quelques doigts, baragouine ici et là une phrase en anglais du petit ton suffisant sympathique qui était celui d’Elvis, faisant ainsi craquer ses interlocuteur.trice.s…
Mardi, une salle quasi pleine attendait l’imitateur, peut-être comme d’autres ont attendu le vrai Elvis Presley au faîte de sa gloire. Bon, peut-être pas avec autant d’ardeur; les applaudissements étaient sûrement beaucoup plus nourris dans les années 1950, 1960 et 1970, et le St-Denis n’a été le théâtre d’aucun évanouissement, crise de larmes d’émotions ou débordement. Mais vous comprenez l’idée. On fait comme si!
Les gens étaient contents, ont joué le jeu, crié un peu, puis un peu plus fort, applaudi beaucoup. De plus en plus au fur et à mesure que les tableaux se succédaient. Se sont réjouis des vocalises «à la Elvis» et d’un «My Name Is Tom Jones» marmonné du timbre guttural caractéristique du monstre sacré en guise d’ouverture. Se sont emballés dès les premières mesures de Don’t Be Cruel.
On s’y serait presque réellement crus sur Love Me Tender, alors qu’«Elvis» déambulait au parterre et que ses admirateur.trice.s se rapprochaient de plus en plus de lui. La petite mer de monde s’est levée spontanément pour mieux apprécier Get Back, avant que, une Mystery Train plus tard, les yeux du véritable Elvis en gros plan sur l’écran ne couvent d’un regard bienveillant le faux homme de Graceland sur You Gave Me a Mountain…
Sur You Don’t Have To Say You Love Me, juste avant l’entracte, la presque totale y était: plusieurs spectateur.trice.s se sont massé.e.s en petits attroupements, devant la scène, pour faire mine de toucher l’idole comme si elle était authentique, effleurer sa main tendue, lui réserver le même traitement qu’aux monuments. Ce n’est pas tous les jours qu’Elvis crochète par le Québec, n’est-ce pas?
À la perfection
En deuxième partie, avec fond visuel tout en lumières, on a fait la fête sur Sweet Caroline, Burning Love, Suspicious Minds, Hound Dog, et autres Blue Suede Shoes, on s’est ému.e.s de la grandiloquence solennelle d’American Trilogy, et les jambes se sont déliées encore davantage. «I Feel Alive!», a lancé notre roi avant de revenir entamer son rappel avec une My Way religieusement savourée.
Même après plus de 25 ans, on s’émerveille encore de la perfection avec laquelle Martin Fontaine devient Elvis, jusque dans les moindres intonations. «Elvis! Elvis! Elvis!», scandait une petite partie du public en fin de soirée, avant que ne tombe le rideau, mardi. Non, Elvis n’avait pas viré par le Québec en 1972, mais Martin Fontaine nous fait le cadeau d’un petit bout d’histoire imaginaire qui fait beaucoup de bien.