Ce n’est pas le couple dans ce qu’il a de plus beau qui a inspiré à l’autrice et animatrice Geneviève Pettersen son plus récent roman, La reine de rien, dans lequel on retrouve la protagoniste de La déesse des mouches à feu, maintenant dans la trentaine, qui assiste à la dissolution de son mariage. À son explosion, en fait.
Que l’on ne se méprenne pas, ce roman, écrit quelques années après la propre séparation médiatisée de sa créatrice, n’est pas une biographie ou un exercice thérapeutique.
La séparation a toujours fait partie de son œuvre, de front ou en filigrane, fait-elle observer en entrevue avec Métro. Après avoir subi l’âpre séparation de ses parents dans La déesse, Catherine divorce à son tour.
La séparation constitue un sujet riche à explorer en fiction, relève Geneviève, comme en font foi les films Une séparation de l’Iranien Asghar Farhadi ou Marriage Story de l’États-Unien Noah Baumbach, qui l’ont marquée au cours des dernières années.
Fascinée par l’être humain dans toute sa complexité, l’écrivaine voit en ce thème de prédilection un terreau fertile à explorer.
On exige beaucoup d’absolu en ce moment, la barre est très haute, comme avec le consciously uncoupling, cette tentative de réussir immédiatement sa séparation. C’est possible de la réussir à long terme, mais reste qu’il y a des moments moins reluisants à traverser.
Geneviève Pettersen, autrice de La reine de rien
Catherine est revenue
Geneviève n’avait pas l’intention à l’origine de raviver Catherine de La déesse des mouches à feu, mais à force de s’évertuer à trafiquer l’histoire pour s’en éloigner, elle a lâché prise. « Pourquoi ne reviendrait-elle pas? », s’est-elle finalement demandé. D’autant que des gens s’étaient montrés curieux de la destinée de cette adolescente rebelle, à laquelle la cinéaste Anaïs Barbeau-Lavalette a donné vie sur grand écran en 2020.
La Saguenéenne d’origine, aujourd’hui établie dans Rosemont–La Petite-Partie, estimait pourtant avoir fait le tour du personnage, le récit, qui avait aussi fait l’objet d’une pièce de théâtre en 2018, ayant été exploité à son avis au maximum. « Je dis à la blague qu’il restait juste à en tirer une comédie musicale », badine-t-elle. Son alter ego « n’avait finalement pas dit son dernier mot ».
C’est dans une langue orale que Catherine, aujourd’hui journaliste dans un éminent média, narre son quotidien, déployant un flux ininterrompu de pensées archi franches, dénuées de toute pudeur. Pour Geneviève, il importait d’écrire comme s’exprimeraient réellement les personnages dans la vie.
« Et ce n’est pas plus facile qu’écrire avec un langage soutenu », fait remarquer celle qui lit ses phrases à haute voix afin d’en assurer la musicalité. « C’est un système compliqué; certaines choses fonctionnent bien à l’oral, mais pas à l’écrit. C’est un jeu de rythme. »
Une protagoniste pas toujours aimable
Par l’entremise de Catherine, l’autrice redonne « le droit d’expérimenter des sentiments qui ne sont pas glorieux ».
En « crisse » que son couple périclite, pour reprendre un vocable reflétant davantage l’esprit du livre, Catherine vit d’incartades extramatrimoniales et bafoue l’archétype de la mère dévouée, malgré tout l’amour qu’elle porte à sa progéniture.
« […] c’est plus facile de me perdre dans une relation avec un autre que de m’asseoir avec Fred pis de lui demander ce qui se passe avec notre mariage. Je veux pas être la femme qui supplie Jolene, dans la chanson de Dolly Parton, de laisser son mari tranquille. Non. Je préfère être Jolene », affirme Catherine, qui se vouera à conquérir un père de la classe de natation de ses enfants.
« L’important pour elle, c’est d’être choisie, d’avoir le dessus sur les autres femmes », dit Geneviève au sujet du personnage. Principalement la femme de son amant, dont elle raille la « taille empire » et la queue de cheval trop lousse. « Une mère de magazine ou une mère qui donne des conseils à d’autres mères sur des forums de mères. Pis elle accomplit tout ça pendant que son mari passe ses grandes soirées à parler à une autre femme sur Internet dans son dos. Je me trouve conne », laisse tomber Catherine.
Dualité humaine
Cette dualité fait partie intégrante de Catherine, submergée de jalousie à l’idée que son mari puisse désirer « un autre corps pis une autre face », malgré ses propres aventures extraconjugales — un paradoxe qui habite bien des gens, mentionne Geneviève.
« Malgré tous mes efforts pis toutes les heures que je passais au gym, il fantasmait sur des filles moins belles que moi. J’étais pas assez. Pis ça, je le prenais pas », fustigera la protagoniste.
Cette dualité s’incarne aussi dans son rapport aux dictats de la beauté, Catherine s’échinant au spinning au moindre Doritos, aspirant à se sustenter uniquement de graines de chia et de jus verts, affûtant sa silhouette comme une arme de domination sur la gent tant féminine que masculine.
« C’est une femme intelligente, consciente des écueils de la société, mais qui, malgré ça, participe allègrement à cette culture de la beauté impossible à atteindre », analyse Geneviève. Et qui peut se montrer impitoyablement acerbe envers les autres — ce qui n’autorise en rien l’accès de violence inattendu de son mari, scène horrifiante que l’autrice ne voulait pas censurer.
« La certaine violence qu’elle exerce sur les autres est le reflet de celle qu’elle exerce sur elle-même — elle est sa pire ennemie », expose Geneviève Pettersen. « S’il y a une chose à retenir de ce livre-là, c’est qu’on peut manquer d’empathie envers nos semblables et qu’on est tous humains. » Dans l’étendue de nos failles et paradoxes.
La reine de rien
Geneviève Pettersen
Stanké