LETTRE OUVERTE – L’annonce des nouvelles restrictions juste avant les fêtes semble indiquer que notre système de santé s’écroule, encore une fois. Ma propre expérience professionnelle dans le système de santé publique de Montréal m’a laissée peu confiante dans un système malade. Je vous partage le point de vue d’une gestionnaire.
J’ai obtenu en 2021 un poste de cadre à la Direction régionale de santé publique de Montréal pour une position intérim dans le secteur de Prévention et contrôle de maladies infectieuses. On venait de franchir le pic de la 2e vague de cas à Montréal qui avait engorgé les hôpitaux. Je ressentais que c’était ma responsabilité de m’impliquer. J’ai donc mis ma carrière académique sur pause, et j’ai inséré le système de santé publique du Québec pour un contrat de 6 mois. Certains gestionnaires avaient quitté le bateau durant la crise, soit à cause de la surcharge de travail, ou encore en raison de désaccords avec la gouvernance.
Dans mon service, les 93 employés surveillaient les cas, les taux de vaccination et les variables associées à ces chiffres. On m’avait recruté pour mes compétences en gestion de programmes en santé, pour ma spécialisation en analyse et gestion de risque en santé publique, ainsi que sur mes expériences professionnelles dans le système de santé publique fédéral, et dans le milieu hospitalier lors de l’épidémie de H1N1 en 2009.
Réseau de santé publique québécois
Les Centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (CIUSSS) et Centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) ont été mis en place en 2015 dans un objectif de réduction des coûts et facilitation de la gouvernance du système de santé. La création des CIUSSS/CISSS a donc résulté en la centralisation des ressources humaines, technologiques, informationnelles, politiques et légales. Les hôpitaux et centres de soins font partie des CIUSSS/CISSS. Les 18 Directions régionales de santé publique (DRSP) sont aussi affiliées aux CIUSSS/CISSS et ont le mandat légal de surveiller, préserver et d’améliorer la santé de la population.
L’instabilité du système
En tant que gestionnaire, l’important était de s’assurer du fonctionnement des activités afin d’éviter les bris de services. Le recrutement massif via le programme Je Contribue des derniers mois avait énormément fragilisé l’organisation. Dans ce contexte de crise et télétravail, les employés avaient été mal accueillis dans le secteur, avaient reçu une formation souvent inadéquate, et avaient une incompréhension de la structure et fonctions du secteur. Les communications internes étaient rares et difficiles. Le système était instable.
La gouvernance peu performante
Les récents témoignages de personnel soignant dans les médiums publics l’indiquent clairement : le système actuel chasse les bons employés de par la culture organisationnelle et les conditions peu saines qu’on leur offre. J’ai constaté à mon arrivée le temps supplémentaire quotidien demandé au personnel. J’ai observé le manque de communication et de transparence envers les équipes. J’ai constaté directement des manques de jugement de la direction en muselant des conversations ouvertes sur le harcèlement au travail, ainsi que sur la santé et sécurité au travail. Les conditions difficiles ne touchaient pas seulement le personnel. Les gestionnaires, étaient appelés à travailler une dizaine d’heures par semaine en temps supplémentaire non payé. J’ai côtoyé des gestionnaires qui devaient offrir une disponibilité 24h sur 24 pour toutes urgences. Sans surprise, les conditions difficiles ont entrainé un grand roulement de gestionnaires, soit d’un taux de roulement de plus de 50% au courant de mon passage de 6 mois. Les enjeux de gestion étaient sur tous les fronts (ex. manque d’agilité, gestion du changement, gestion de la croissance/décroissance des activités, environnement virtuel non adéquat).
La centralisation difficile des ressources
Malheureusement, la centralisation des ressources complexifie les actions. Des problème d’accès aux systèmes informatiques, le manque de support technologique, et le matériel désuet, ont entrainé la perte de plusieurs heures de travail chaque semaine. Dans un souci de faciliter le télétravail, certains cadres ont dû acheter eux-mêmes au personnel du matériel pour les rencontres virtuelles (ex. caméras). La centralisation des ressources résulte en des organismes peu agiles et peu flexibles, avec des processus lents. Dans un contexte de crise, on se doit d’avoir une capacité d’adaptation pour gérer adéquatement le changement.
Le peu de vision à moyen et long terme
La vision de la DRSP fut une vision à court terme. En juillet 2021, comme les cas étaient peu nombreux, la direction a indiqué l’importance de restructurer les ressources et laisser partir les effectifs, sous-utilisés mais ayant accepté une réduction de temps travaillé. Le secteur a donc remercié près de 400 personnes formées. Moins de 2 mois plus tard, la Santé Publique de Montréal cherchait à recruter des centaines d’employés pour faire les mêmes tâches. Le roulement élevé de personnel et cadres a résulté en peu de documentation écrite collectant l’information créée tout au long de cette crise (ex. guides, processus), ce qui pourrait entraîner une perte d’expertise développée tout au long de la réponse du système de santé face à cette pandémie. C’est donc un manque de vision et une gestion maladroite.
Manque d’expertise en implantation d’interventions en santé
Chaque service est co-géré par un cadre et un médecin. En santé publique, on réalise surtout des diagnostics populationnels sur les priorités de santé publique et on planifie les interventions. L’interprétation des données est principalement basée sur le travail des épidémiologistes, en fonction des données recueillies par les infirmières et enquêteurs de santé avant de sélectionner les meilleures stratégies (ex. où établir des initiatives locales de vaccination). L’expertise n’est donc pas exclusive aux médecins. Prenons l’exemple de l’implantation d’une mesure dans une population : des spécialistes de nombreuses disciplines comme les sciences du comportement, la psychologie, les analystes de politiques de santé, auront possiblement une expertise très utile.
L’intervention de vaccination ciblée dans Côte st-Luc et Plamondon en mars 2021 est un exemple d’un faux pas. Comme ces quartiers avaient des taux de transmission plus élevés, des équipes de vaccination ont été envoyées dans les écoles pour y vacciner les étudiants et parents. Après l’insatisfaction populaire face à l’exclusion du personnel, la DRSP a finalement changé son fusil d’épaule pour accepter de vacciner le personnel. Il est évident qu’il y a un manque de spécialisation dans le modèle actuel.
Notre système de santé incite présentement à la médiocrité. Est-ce qu’il pourrait être amélioré ? Certainement. Voici 4 points importants qui devraient être sujets à réflexion afin d’améliorer le système: 1) transformer la culture organisationnelle, 2) rendre le système plus agile, 3) accroître et retenir l’expertise, 4) mettre le personnel en priorité.
Transformer la culture organisationnelle
Il y a indéniablement une nécessité de transformer la culture organisationnelle, et d’en faire un milieu sain. Plusieurs ont soulevé des pistes d’amélioration de gestion du système de santé. Rehausser et bonifier les salaires du personnel infirmier n’est malheureusement pas la meilleure solution. Les éléments reprochés par le personnel aux gestionnaires sont principalement : le temps supplémentaire constant et obligatoire, l’insécurité reliée au contexte des postes temporaires, un manque de définition des rôles et responsabilités, une charge mentale trop importante, et une pression de l’organisation qui se transforme en contexte professionnel toxique. L’augmentation de salaire n’améliorera pas ces éléments.
Rendre le système plus agile
Personnellement, je vois d’un bon œil la décentralisation des ressources et la dé-hiérarchisation des pouvoirs. Il est essentiel de redonner de l’agilité et flexibilité à nos organisations de santé afin de répondre à une crise, comme l’illustre la pandémie actuelle.
Accroître et retenir l’expertise
Le manque de partenariats et d’expertise est flagrant. Dans ce contexte, les académiques pourraient être appelés en renfort. Des partenariats plus forts, et une plus grande attraction et rétention des spécialistes dans le système public sont essentielles pour avoir un système solide. Non seulement dans des domaines de santé, mais également dans les disciplines permettant au système de bien fonctionner, comme la gestion du personnel, l’amélioration continue, la gestion du risque, les communications et autres.
Reconnaître l’importance du personnel
La santé de tous services repose sur les travailleurs qui procurent ce service. Il est nécessaire de reconnaître l’importance du bien-être du personnel pour avoir un système efficient. J’en profite pour dire merci à tous les membres du personnel et gestionnaires qui donnez votre 110%, c’est grâce à chacun de vous que le système survit.
Une autre réforme?
Par l’écoute des recommandations provenant du terrain, avec de la volonté politique, et les ressources financières déjà acceptables, il est possible de changer les choses. L’état actuel du système de santé québécois est partiellement dû à la réforme mise sur pied par Mr. Barrette, ministre de la santé de l’époque. La proposition des libéraux de réduire le pouvoir du ministre de la Santé et instaurer un conseil d’administration n’est pas une idée si farfelue, peu importe notre affiliation politique.
J’ai tenté l’expérience du système de santé publique au Québec et j’en suis sortie avec un regard mitigé. En tant que gestionnaire, j’ai souhaité faire partie de la solution, mais il reste beaucoup à faire. Il y aura des changements majeurs à faire dans le système de santé du Québec. Serait-il temps d’une réforme? Certains le croient.
Mylène Ratelle
PhD, MSc, PMP